Il a rejoint «lejdoud» un 2 décembre mais c'est le 11 du même mois qu'il fut enterré dans sa terre maternelle. Un 11 décembre on ne peut plus symbolique. Il est parti un jour d'hiver, en terre d'exil. Discrètement. A sa manière d'humble parmi les humbles qu'il fut 65 ans durant. Une âme pure partie à son tour féconder les cieux que peuplent ses ancêtres chaouis. Ammar Negadi, ce digne fils de Tmerwanth, la romaine Massyle Lamasba et Merouana en arabe, avait été inhumé en présence des siens, de sa fille et de son fils notamment, mais aussi de militants du mouvement culturel amazigh (MCA) et de nombreux chaouis venus des quatre coins du quadrilatère auressien. Exilé en France, il fut à la revendication identitaire berbère chez les Chaouias ce que le Kabyle Mohand Aarav Bessaoud fut à la question culturelle de même essence pour les Kabyles. D'ailleurs, les deux hommes avaient porté à bout de bras l'Agraw Imazighen, l'Académie berbère créée à Paris en 1965, sous l'impulsion du chantre culturaliste kabyle, rejoins en 1966 par Ammar des Aurès. Neggadi, qui quittera l'Académie en 1975, époque où la confusion et la suspicion étaient devenues le moteur à réaction de l'Académie, avait dirigé son Comité Paris-région Ile-de-France. Noyautée en profondeur par l'ancienne Amicale des Algériens en Europe, officine associative du régime algérien, l'Académie entrera alors en crise, entraînant son implosion et le départ forcé de Mohand Aarav Bessaoud en Angleterre. Victime lui-même des malentendus que la défiance et le soupçon génèrent parfois dans le cœur des hommes, il finira par accuser son camarade de lutte d'être un agent infiltré de l'ex-SM, la Sécurité Militaire de Kasdi Merbah. Digne et lucide, Ammar Negadi n'en fera pas pourtant grief à son compagnon de lutte. Il dira à ce propos que la rupture avec l'Académie fut provoquée par «les infiltrations de tous genres où chacun menait rumeurs et surenchères. Les agitateurs finiront par prendre le dessus en amenant Agraw Imazighen à commettre des actes répréhensibles par la loi (racket), actes qui le feraient dissoudre et amener Mohand Aarav Bessaoud à s'exiler». Pour disculper l'auteur de «Heureux les martyrs qui n'ont rien vu», il affirmera que «la crise de 1978 (…) n'était en réalité qu'une machination ourdie par les amicalistes FLN contre Mohand Aarav Bessaoud qui dérangeait à l'époque de par son statut d'ancien maquisard et surtout son dévouement irréprochable pour la cause amazighe». Esprit cartésien et plume particulièrement déliée, Ammar Achawi irriguera de ses denses écrits sur l'histoire, la géographie et la culture des Aurès le champ de la revendication amazighe. Un vadémécum, légué après sa mort ainsi que 3 500 livres à Djemaâ Djoghlal, figure éminente du féminisme algérien, grand symbole du militantisme culturel dans les Aurès et cousine du chahid emblématique Abbas Laghrour. Une somme qui constitue à ce jour le socle de la réflexion et de l'action du Mouvement culturel amazigh (MCA). Aujourd'hui, des dizaines d'associations militantes activent dans le pays des Inumiden. Des noms de militants dévoués de la revendication culturelle et identitaire, «fils» d'Ammar Chaoui, comme Messaoud Nedjjari, Abderrahmene Bouali, Cherif Merzougui, Saci Abdi et Salim Yezza, constellent le ciel de la revendication amazighe. On doit aussi à Ammar Negadi, entre autres, une géographie de l'Aurès consultable sur Wikipédia, et singulièrement le calendrier berbère. Almanach publié en l'an amazigh 2930, correspondant à 1980, année grégorienne du Printemps berbère et qui fut l'œuvre de son association Thedhiwth n'Aghrif Amazigh, l'Union du peuple amazigh (UPA), lancée en 1971. L'UPA qui œuvrera à la vulgarisation de l'usage du fus dheg fus, qui va devenir le premier alphabet tifinagh, à travers son bulletin périodique Azaghen (Liens). Le point de départ du calendrier berbère est symboliquement l'an 950 av. J.-C. correspondant à l'accession au statut de pharaon d'Egypte du Berbère Chéchonq 1er (945-924), roi aux déclinaisons phonétiques multiples. Il y a dans ce calendrier le Tawurt n usegwan, les «portes de l'année», prélude à l'anezwar u segwas, le nouvel an berbère qui débute le 12 janvier. Ammar Negadi, qui sera également à l'origine de la publication d'une première liste de 750 prénoms amazighs, ouvrira Adlis Amazigh, la première librairie berbère, rue Léon Frot, dans le 11e arrondissement parisien. Mais il se distinguera surtout par la passion constante mise à défendre la graphie tifinagh. Il croisera à ce propos le fer avec le grand écrivain Mouloud Mammeri qui a contesté les choix de Negadi et de l'Académie berbère de transcrire tamazight en tifinagh innovés. Face à son illustre détracteur, «défenseur zélé des caractères latins», Ammar Achaoui avancera cet argument : «D'autres peuples, d'autres langues nous ont administré la preuve que des alphabets prétendument inaptes peuvent, au contraire, se moderniser, s'adapter et constituer le meilleur support. Pour mémoire, l'hébreu. D'ailleurs, pourquoi irait-on chercher ailleurs ce que l'on a chez soi ? Les tifinagh existent, cet alphabet est notre création depuis des millénaires, il n'y a rien à envier à des écritures qui ne sont que l'adaptation d'un phénicien récent». Limon chaoui des temps berbères immémoriaux dans les Aurès, Ammar Negadi est aujourd'hui quelque part là-haut, heureux parmi ses ancêtres. Et on l'y imagine chanter encore, avec Markunda Awres, l'olivier sacré de Taxlent, témoin dendrologique de la permanence amazighe à Belezma, son terreau ancestral. La chanteuse aux cordes vocales exhalant les parfums de Markanda, d'Arris et de Narteth, célébrait ainsi cet olivier porteur de l'âme chaouie : «Emmenez-moi au pays de l'olivier ; Emmenez-moi au pays du soleil ; Là-bas à Taxlent ; Auprès du vieil olivier, l'olivier sacré, l'arbre des origines, l'arbre des racines ; Je viendrai près de toi mon olivier, je viendrai, je le promets, jeter mon souffle à tes pieds.» N. K.