Les institutions multilatérales qui structurent l'ordre international en faveur de l'ouverture du commerce multiplient les signes de fatigue. L'organisation mondiale du commerce (OMC) est en hibernation depuis l'échec du cycle de Doha en raison de l'incapacité des gouvernements à s'entendre sur des standards commerciaux communs. Les institutions multilatérales qui structurent l'ordre international en faveur de l'ouverture du commerce multiplient les signes de fatigue. L'organisation mondiale du commerce (OMC) est en hibernation depuis l'échec du cycle de Doha en raison de l'incapacité des gouvernements à s'entendre sur des standards commerciaux communs. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE) risque de ralentir l'intégration économique du continent. Longtemps considérée comme une force libre-échangiste, l'UE doit aujourd'hui composer avec ses propres pressions protectionnistes locales. Les difficultés à ratifier l'accord commercial avec le Canada ou, dans une moindre mesure, la volonté de la Commission européenne de restreindre la circulation des travailleurs détachés d'Europe de l'Est pour satisfaire les forces protectionnistes d'Europe occidentale montrent à quel point l'agenda commercial européen est compromis, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Trump, une nouvelle ère protectionniste Aux Etats-Unis, l'élection de Donald Trump confirme l'avènement d'une nouvelle ère protectionniste. Le nouveau chef de l'administration américaine a multiplié les déclarations hostiles au commerce international. Le partenariat trans-pacifique ainsi que le projet de traité trans-atlantique sont tous deux considérés par le nouvel occupant de la Maison-Blanche comme contraires aux intérêts américains. Cette défiance ne s'arrête pas là puisque Donald Trump est allé jusqu'à demander une renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) tout en évoquant la possibilité d'une sortie des Etats-Unis de l'OMC. La récente nomination de Peter Navarro, un économiste bien connu pour son hostilité à l'influence grandissante de l'économie chinoise, à la tête du Conseil national du commerce (une nouvelle instance rattachée à la Maison-Blanche) laisse entrevoir la possibilité d'une guerre commerciale conformément aux vieilles théories mercantilistes qui conçoivent le commerce mondial comme un jeu à somme nulle. La difficile défense du libre échange La prédominance des idées protectionnistes sur le libre-échange a déjà longuement été expliquée, notamment par les théoriciens de l'école du choix public. La défense du libre-échange sur la scène médiatique et politique est difficile dans la mesure où ses bénéfices sont diffus quand ses coûts sont concentrés. Une telle configuration favorise les petits groupes de pression organisés qui ont plus d'incitation à dépenser du temps, des ressources et de l'énergie à faire du lobbying en faveur des barrières commerciales au détriment des consommateurs. C'est pourquoi les pressions protectionnistes sont rarement combattues par les forces politiques traditionnelles qui préfèrent radicaliser leur discours en espérant endiguer la montée des mouvements populistes. Mais l'efficacité de cette stratégie est incertaine puisqu'elle normalise les idées protectionnistes. Le problème de cette normalisation tient à ce qu'elle met en péril la sécurité internationale et la lutte contre la pauvreté dans le monde toutes deux soutenues par l'ouverture du commerce mondial ces dernières décennies. La réciprocité n'est pas indispensable Fort heureusement, il est toujours possible de promouvoir le libre-échange en prenant acte du retrait probable de l'Europe et de l'Amérique de l'agenda commercial global. Le multilatéralisme n'est pas la seule méthode pour ouvrir les marchés. On peut même affirmer que l'approche multilatérale a longtemps été privilégiée en raison des instincts mercantilistes qui persistent malheureusement dans les cercles diplomatiques. Les traités commerciaux puisent en effet leur existence dans l'idée que l'ouverture du commerce ne peut s'effectuer que sur une base strictement réciproque. Les importations sont considérées comme des concessions tandis que les exportations sont vues comme étant l'alpha et l'oméga de la prospérité. Or, comme le disait Jacques Rueff, conseiller de Charles de Gaulle : «Les hymnes à l'exportation (...) supposent de n'avoir pas conscience de l'inanité de toute distinction entre commerce intérieur et international.» Autrement dit, les importations, tout comme les exportations bénéficient aussi bien à l'économie locale qu'aux partenaires extérieurs. C'est d'ailleurs pourquoi la réciprocité en matière d'ouverture, bien qu'idéale, n'est pas indispensable pour mener une politique libre-échangiste. Une économie qui s'ouvre unilatéralement aux échanges internationaux bénéficie du jeu des avantages comparatifs indépendamment de la persistance des restrictions étrangères. Les populations accèdent à une plus grande abondance de produits de qualité à un prix réduit. La concurrence internationale permet d'optimiser la division du travail tout en encourageant une meilleure spécialisation des industries. Chacun devient plus productif. La production globale de richesses est accrue tandis que la pauvreté recule. Les «Corn laws», la réussite d'une initiative locale Il ne s'agit pas là que de théorie. L'abolition des lois céréalières (Corn Laws) en Grande-Bretagne en 1846 est un exemple emblématique de la réussite d'une initiative locale en matière d'ouverture commerciale. Pour prendre des exemples plus contemporains, Hong-Kong et Singapour sont régulièrement considérés comme deux des pays ayant unilatéralement mis en place les régimes les plus libéraux en matière de commerce international. La Nouvelle-Zélande a conduit des politiques similaires dans le domaine agricole vers la fin des années 80, soit bien avant la conclusion de l'accord multilatéral sur l'agriculture en 1994 dans le cadre de l'OMC (un accord qui n'a d'ailleurs pas mis fin au protectionnisme agricole des grandes puissances). Si ces trois derniers pays avaient attendu un consensus mondial pour ouvrir leurs marchés, ils auraient perdus plusieurs années, voire décennies de développement économique. Le reste du monde ne doit pas pâtir des replis européens et américains Il serait bien sûr naïf de croire que de telles initiatives pourraient être répliquées en Europe et aux Etats-Unis dans le court terme étant donné leurs situations politiques respectives. Mais la marche du monde vers le libre-échange et la prospérité n'a pas à être ralentie par ces pays. Les autres pays de l'Ocde, les pays émergents et même les pays en voie de développement n'ont pas à faire les frais de ces replis. Un rapport établi par la Banque mondiale en 2005 rappelle d'ailleurs que sur les 21 points de droits de douanes éliminés en moyenne dans les pays en voie de développement entre 1983 et 2005, deux tiers de ces réductions ont été portés par des initiatives unilatérales. Preuve s'il en est qu'il ne faut pas surestimer l'importance du multilatéralisme. Le déclin des institutions multilatérales au profit d'une plus grande subsidiarité n'anéantit pas l'espoir d'instituer un ordre international ouvert. La concurrence institutionnelle peut être le vecteur d'une saine émulation entre politiques commerciales afin d'encourager par itération la diffusion des succès locaux portés par les pratiques libre-échangistes. Il s'agit désormais d'un processus beaucoup plus crédible que le multilatéralisme qui, en raison du contexte politique, est voué à maintenir le monde dans l'immobilisme. F. A. *- Ferghane Azihari. Coordinateur pour European students for Liberty en région parisienne, collaborateur chez Young Voices et contributeur régulier pour l'Institut Ludwig von Mises aux Etats-Unis. - Tribune co-signée avec le think-tank GenerationLibre In latribune.fr