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«L'Afrique doit faire comme si elle n'avait pas de matières premières» Kingsley Chiedu MOghalu, ancien vice-président de la Banque centrale nigériane au Temps :
La chute du cours du pétrole a mis à mal les économies africaines qui ont oublié de se diversifier. L'ancien vice-président de la Banque centrale nigériane, Kingsley Moghalu critique la «paresse intellectuelle» générée par les ressources naturelles et l'aide au développement Kingsley Chiedu Moghalu n'est pas de ces «afro-pessimistes» chroniques. L'ancien vice-président de la Banque centrale nigériane dresse pourtant le portrait d'une Afrique au développement toujours plus inégalitaire. Avec, d'un côté, des pays rongés par la «malédiction des matières premières», contraints à l'introspection, après la chute des cours du pétrole en 2014. Et de l'autre, des pays quasiment dépourvus de ressources naturelles mais qui sont parvenus à diversifier leur économie, a expliqué le Nigérian lors d'une conférence sur le commerce international, coorganisée mardi par l'organisation de promotion des exportations Switzerland Global Entreprise et l'Assurance suisse contre les risques à l'exportation (Serv). Pour le professeur à la Tufts Fletcher School (Massachusetts), l'Afrique a toutes les cartes en main pour prospérer… A condition, qu'elle fasse «comme si elle n'avait pas de matières premières». Le Temps : comment les économies africaines ont-elles vécu la chute des cours des matières premières ? Kingsley Chiedu Moghalu : Très mal. C'est un marché par essence très volatil mais les prix sont restés bas pendant longtemps. Des pays – comme l'Algérie ou le Soudan – dépendent à plus de 80% des matières premières pour leurs revenus. Le Nigeria pour 90 à 95% de ses réserves de change. Lorsque ses revenus se sont évaporés, ces pays ont non seulement subi les déficits dans leurs comptes publics mais aussi des pressions inflationnistes sur leur monnaie. Vous portez un regard critique sur le développement de votre propre pays, le Nigeria. Une nation ne doit pas se retrouver dans l'angoisse quotidienne des hausses et des baisses du cours des matières premières. Il ne peut y avoir de voie vers le développement dans ces conditions. La plupart des économies africaines sont trop tournées vers l'exportation. Elles ont bénéficié ces dernières années de l'appétit chinois pour les matières premières. Mais Pékin a déjà entamé sa transition d'une économie d'exportation vers une économie de consommation. Le supercycle des matières premières est derrière nous mais pratiquement rien n'a été économisé sur la manne pétrolière. Pourquoi ? Il n'y a pas de culture des économies. Les premiers fonds souverains ont été créés dans les années 1950-1960. En Afrique, cela s'est fait bien plus tard, dans un climat de vives oppositions. Le Nigeria a créé le sien en 2011, initialement capitalisé à hauteur de 1,5 milliard de dollars. C'est faible mais c'est un début. Le Nigeria et la Libye ne sont pas astreints par l'accord de l'Opep visant à limiter la production de pétrole de 1,8 million de barils par jour. Les mois à venir ne représentent-ils pas une opportunité de gagner des parts de marché ? C'est possible. Après les attaques de milices qui ont affecté la production du Delta du Niger, la production nigériane pourrait retrouver un niveau de 2,2 millions de barils par jour (après avoir atteint 1,39 million en août, son plus bas niveau depuis 1988, selon Bloomberg, ndlr). Rappelons toutefois que le pays doit déjà vendre sa production avec de gros rabais pour l'écouler. L'Opep n'a plus l'influence qu'elle avait autrefois. Malgré les accords, je ne crois pas que les prix remonteront de manière significative. Nous ne sommes plus sur un marché de vendeurs. Que préconisez-vous ? Il est important que le continent délie son sort de celui des matières premières et qu'il porte un nouveau regard sur son développement économique. Les économies est-africaines comme le Rwanda, l'Ethiopie ou la Tanzanie se portent mieux que celles d'Afrique de l'Ouest. Elles ne se sont pas reposées sur leurs matières premières mais sont parvenues à diversifier leur économie. L'Ethiopie pourrait par exemple bénéficier de la délocalisation d'usines chinoises. Un pays où les coûts de production ont pris l'ascenseur. Mais il y a une multitude d'autres opportunités en Afrique, dans la construction, le tourisme, les technologies de la communication et les médias. Le continent s'urbanise rapidement et possède une classe moyenne de plus en plus importante. Un chiffre : il y a près de 120 millions de portables en circulation au Nigeria. Vous dénoncez, dans votre dernier ouvrage, une Afrique qui s'est trop «reposée sur l'aide extérieure». Pouvez-vous préciser ? L'aide au développement ne mène pas à la croissance. Je ne connais aucun pays qui soit devenu industrialisé grâce à elle – j'exclus volontairement de ma réflexion l'aide humanitaire, qui a un rôle important. Dès qu'ils l'ont pu, la Chine et le Brésil ont mis fin à ces programmes. Ces contributions génèrent de la paresse intellectuelle. C'est la même logique qu'avec les matières premières. On s'est mis à attendre que l'argent nous tombe du ciel. A. B. C. *Journaliste Eco & Finance, spécialisé dans les PME et l'économie lémanique. Passionné par les nouvelles technologies et les mondes hispanophones