Emanuel Macron, placé par les sondages parmi les favoris de la course à l'Elysée, a désormais, sur le dossier de la colonisation de l'Algérie, une position en avance sur celles de tous les politiques français sous la Ve République. Il trouve donc «inadmissible de faire la glorification de la colonisation» qu'il «condamne comme un acte de barbarie». Et mieux ou pire encore, y voit un «crime contre l'humanité» et exhorte l'Etat français à «présenter des excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes», c'est-à-dire les «crimes terribles, la torture, la barbarie». Comme on le constate, Emanuel Macron, héritier putatif de François Hollande, a certes une position avancée et inédite en matière de qualification des crimes de la colonisation qu'il classe dans la catégorie suprême des «crimes contre l'humanité». Il reconnait ainsi ces crimes et se montre prêt à présenter des excuses au peuple algérien dans le cas où il serait le 8e Président de la Ve République. Mais, tout en critiquant la loi scélérate de février 2005 qui loue les «bienfaits» de la colonisation, il adopte ensuite une position quelque peu ambiguë, selon laquelle «la France a installé les droits de l'Homme en Algérie, mais elle a oublié de les lire». Manière de dire implicitement que la colonisation fut pour partie une œuvre de civilisation fondée sur les droits de l'Homme. Sauf que, de son point de vue, la France coloniale ne les a pas appliqués ou peu ou prou aux Algériens indigènes. En novembre 2016, dans une interview à l'hebdomadaire Le Point, il avait trouvé dans la colonisation des «éléments de civilisation» en même temps que des «éléments de barbarie». Ces «éléments de civilisation», ce sont, à ses yeux, «l'émergence d'un Etat, de richesses, de classes moyennes». Dans cette interview comme dans ses récentes déclarations à Alger, Emanuel Macron n'a, à aucun moment, dit que cet Etat colonial et ces richesses n'ont pas profité durant 132 ans à la population indigène. De même qu'il n'a pas souligné que l'Etat colonial et les richesses du pays ont plutôt profité à la population européenne en général et aux colons nantis en particulier. Il est vrai que les «bienfaits» de la colonisation n'ont pas bénéficié à tous les Pieds-noirs dont certains étaient de condition modeste et d'autres adoptèrent même des positions anticolonialistes. Cependant qu'une infime minorité s'était rangée résolument du côté du FLN combattant pour l'indépendance de l'Algérie. A ce stade de sa réflexion, le probable futur président Macron se place dans une position relativement audacieuse, mais qui reste encore une position de compromis politique. Dans le sens où elle se veut équilibrée alors qu'elle est en fait mitigée. Elle relève chez lui à la fois du crime contre l'humanité et de la civilisation apportée et plus ou moins partagée entre les populations Pied-noire et indigène. En dépit de cette relative avancée, «macronienne», le passé colonial ne passe toujours pas bien entre l'Algérie et la France, 55 ans après l'Indépendance. La mémoire coloniale est toujours une identité traumatique dans l'Hexagone. C'est aussi un terrain très glissant pour les politiques qui ont systématiquement pour horizon immédiat la prochaine échéance électorale. On évite donc de condamner les crimes avec clarté et précision, sauf dorénavant dans le cas de Macron qui a fait le pas de la qualification en «crimes contre l'humanité», et souligné la responsabilité de l'Etat français qui devrait présenter des excuses, sans pour autant exprimer de la repentance que toutefois personne ne lui demande en Algérie. Comme si on redoutait à chaque fois d'ouvrir la boîte de Pandore coloniale ou la fameuse «boîte à chagrin» que le général de Gaulle s'est pour sa part empressé de fermer avec ses textes d'amnistie. Et c'est comme si on craignait, de manière générale, d'inscrire la déploration et le confiteor dans la conscience du pays. La mémoire reste lourde et se décline en mémoires coloniales conflictuelles. Ou bien c'est la bonne conscience coloniale qui reste toujours active. Et si le temps a favorisé plus ou moins l'apaisement, la bonne conscience colonialiste n'a pas pour autant été effacée, puisque pratiquement trois personnes interrogées sur cinq estimaient en 1990 que la colonisation avait été une bonne chose pour l'Algérie. Et qu'on a retrouvé, au pire du débat sur l'article 4 de la loi scélérate du 23 février 2005, la même proportion d'opinions pour estimer que les «aspects positifs» de la colonisation méritaient d'être enseignés ! Pourtant, il n'y a jamais eu en France de mémoire nationale de la guerre d'Algérie. Ce conflit fut longtemps un non-dit et un non-lieu. Jusqu'à ce que l'Etat français consente, bien tardivement, en 1999, à le nommer simplement «une guerre». Pour la France, la Guerre d'Algérie aura été le second grand traumatisme national du siècle, deuxième grande blessure narcissique après la capitulation et l'effondrement de la République en 1940. Comme ce fut longtemps le cas au sujet de la trahison historique du régime de Vichy, la vérité de l'Histoire fait toujours mal en France. Notamment dans la classe politique et dans certains milieux intellectuels, à droite comme à gauche, mais surtout au sein de la droite républicaine, du centre et de l'extrême-droite. N. K.