En Algérie, toute opportunité intellectuelle est bonne à prendre pour débattre, préciser des concepts ou dessiner des modèles politiques. Ce fut notamment le cas lors d'un état des lieux du multipartisme au journal gouvernemental Echâab. Occasion fut donc offerte à deux leaders de la majorité présidentielle pour en être animateurs et contradicteurs. Bouguerra Soltani du MSP, qui faisait le bilan de «vingt ans de pluralisme», est convaincu qu'il n'a pas produit d'«hommes politiques modèles». Pas du tout d'accord Abdelaziz Belkhadem du vieux FLN ; lui croit que la très imparfaite démocratie algérienne a même généré des «modèles» de leaders politiques. Constats diamétralement opposés entre représentants de deux courants conservateurs, issus du national-islamisme, qui n'ont pas le même sens de l'optimisme démocratique. Des deux, c'est l'islamiste modéré qui a eu un avis tranché : le pluralisme politique n'a pas créé d'hommes politiques «modèles». Dans la vulgate soltanienne, ce défaut absolu signifie que l'Algérie multi-partisane n'a enfanté que d'hommes et de femmes politiques ordinaires. Ordinaire lui-même, donc, Bouguerra Soltani a au moins le mérite de la modestie et de l'autocritique. Un peu moins le cas, semble-t-il, de son allié du FLN. Lui pense que les «hommes politiques modèles», il y en a, et même beaucoup. Selon lui, cela va sans dire, mais c'est mieux en le disant. Premier exemple, le regretté et truculent islamiste Mahfoud Nahnah du même MSP. Hocine Aït Ahmed du FFS en est le second, historique s'il en fut. Et comme Abdelaziz n'est jamais mieux servi que par Belkhadem, au FLN, ça se bouscule au portillon de l'ancien parti unique. Il y en a «plusieurs», selon le comptage de son secrétaire général. En fin de comptes, ce strabisme politique divergent ne pose-t-il pas la question même du type de «modèle» politique en Algérie ? Oui, si l'on considérait que Soltani et Belkhadem ne divergeaient pas outre mesure dans leurs appréciations du prototype. Alors, le chef de file des Frères musulmans algériens a tout à fait raison de dire que le multipartisme n'a pas accouché de politiques de génie, d'hommes et de femmes politiques d'exception. Le fait même que le SG du FLN cite comme «exemples» Hocine Aït Ahmed et Mahfoud Nahnah, deux figures non originaires du multipartisme, crédibilise, de fait, le constat de carence de Soltani. Au fond, les deux hommes parlaient de deux choses bien distinctes. Chez le patron du MSP, l'absence de «modèles» dresse, de facto, le portrait en creux du dirigeant politique ordinaire, sans relief, non charismatique. Tout le contraire de grands leaders comme Nahnah et Aït Ahmed, cités, à juste titre, comme des modèles par l'ex-chef de gouvernement d'Abdelaziz Bouteflika. Ces deux prototypes d'hommes politiques sont après tout le produit de l'histoire des mouvements nationaliste et islamiste. Ils en sont la quintessence, même si Bouguerra Soltani les place dans la catégorie «dictature des zaïm historiques». Pour Abdelaziz Belkhadem, un technocrate converti religieusement à la politique et formé à «l'académie» politique du parti unique, le zaïmisme, est synonyme même de charisme. Ce qui signifierait que l'histoire du mouvement national et celle, parallèle, de l'islamisme ont, en raison de leur densité, inventé des politiques charismatiques et des «hommes politiques modèles». Tout le contraire du processus étique de démocratisation du pays depuis 1989. La qualité des hommes et des femmes politiques, leur envergure et la richesse de leur profil seraient, in fine, un baromètre, un miroir sans tain, fidèle réflecteur du niveau et de la qualité d'une démocratie. CQFD. N. K.