Nous célébrons dans quelques jours la journée mondiale de la presse. Mais que peut-on dire de la presse algérienne et de la qualité intellectuelle de nos journalistes à la lumière des événements douloureux qui ont marqué l'histoire des deux dernières décennies de notre pays ? Cette presse a-t-elle glané comme elle le prétend ses galons de presse indépendante ? Près de 200 journalistes et travailleurs de ce secteur ont été assassinés dans des circonstances obscures, lors de « la sale guerre ». La presse est-elle pour autant victime de l'islamisme armé ou bien a-t-elle été associée pleinement au complot des généraux ? La presse algérienne est-elle libre ou bien sert-elle seulement de « masque démocratique » à une junte qui veut à tout prix cacher sa trahison au serment de novembre, son inconscience et sa responsabilité dans les crimes contre l'humanité ? La presse algérienne dérange t-elle l'ordre établi ou bien elle est comme le lui reprochent ses adversaires, l'élément essentiel dans la propagande du pouvoir, l'entreprise d'abrutissement, d'appauvrissement et d'aliénation de l'imaginaire collectif ? Loin des clichés habituels, des apparences et des faux semblants généralisés, notre presse n'a-t-elle pas consciemment stigmatisé le bellicisme, l'exclusion, la haine,le régionalisme ; n'a-t-elle pas soutenu le mal et la bêtise et surtout n'a-t-elle pas produit les arguments si nécessaires à un régime barbare pour régner en maître absolu et de prendre en otage notre destin ? Selon les estimations établies par des universitaires qui préparent leurs thèses et mémoires de fin de cycle, au moins 15ooo personnes ont travaillé dans le secteur de la presse privée depuis 1990 à ce jour, alors que le nombre de « titres » a largement franchi les seuils des 14o « canards » Il est cependant utile de souligner que la majorité des effectifs qui a meublé les rangs de la presse provient du secteur de l'Education. Des PEF et des instituteurs qui ignorent tout des techniques de la communication et de l'information. Partant de cette situation, les directeurs de publication et les éditeurs de presse, faisant travailler leurs effectifs au noir et le plus souvent sans salaires, n'ont pas rencontré de résistance intellectuelle pour transformer leurs journaux respectifs en école chargée d'assurer la promotion de la république et de la démocratie « militarisées ». Une dévouée au culte des généraux contre l'entendement, la raison et la pensée rationnelle. Avant l'avènement du multipartisme et l'ouverture du champ médiatique, la presse algérienne se limitait à peine à quelques quotidiens à l'instar de El Chaab, El Moudjahid lancé en pleine guerre de libération par Abane Ramdane, El Djemhouria, El Nassr, Horizons et El Massaa comme quotidiens du soir. S'ajoutent à cela une poignée d'hebdomadaires tels que Algérie Actualité , Révolution Africaine , El Djeich , l'Unité, une chaîne de télévision unique et quelques stations radiophoniques qui se sont taillées le monopôle de l'expression et du lectorat journalistiques. S'agissant des titres présents aujourd'hui dans les kiosques, on dénombre pas moins de 7o. Ce qui a engendré une concurrence féroce non pas pour restaurer un journalisme d'investigation responsable, mais a qui va se prostituer le plus à l'ordre de la junte. Le désir éperdu d'être bienséant et de servir au mieux les maîtres du moment, d'ici et d'ailleurs. Au moment ou des canards de la première heure de l'ouverture médiatique ( Liberté, El Watan, Le Soir, El Khabar) font preuve de réussite inégalée, d'autres nés dans la douleur d'octobre 88 ont subi les affres du régime pour disparaître à tout jamais. Ce fut le cas notamment de La Nation, El Manar, El Haq, Libre Algérie…En guise de cette réussite, les deux quotidiens El Khabar et El Watan se sont offerts deux imprimeries. Toutefois, il y a lieu de rappeler que l'Etat, pour encourager la création de nouvelles entreprises de presse en 1989, a offert deux années de salaires aux anciens journalistes de la presse du parti unique. Concernant les tirages, on assiste de jour en jour à des nombres pléthoriques dans la presse nationale. A ce titre , l'exemple d'Echourouq dont le tirage tourne autour d'un million d'exemplaires par jour, est édifiant. D'ailleurs, il n'est pas le seul a marquer cette tendance. El Khabar autour de 5oo ooo ; El Nahar de 4oo oo et El Watan avec 25o ooo exemplaires. Il s'agit là de chiffres astronomiques, si on fait le parallèle avec la réalité du tirage au Maghreb, au Moyen Orient et dans certains pays de l'Europe. A quoi sert cette tendance si elle n'est pas accompagnée d'éléments nécessaires à l'éveil de la conscience et à l'épanouissement des valeurs citoyennes et démocratiques ? Et d'abord ou ces journaux puisent-ils leur argent pour atteindre une telle performance ? La publicité que le régime control totalement. Plusieurs journaux se permettent de consacrer plus de 12 pages de publicité par jour pour un total de 24 pages avec une tarification des plus salées en sus. Or, de par le monde , la loi stipule que la quote-part de la réclame ne doit pas depasser le tiers de la surface rédactionnelle. Par ailleurs, il y a lieu de souligner un autre avantage qui n'est pas des moindres dont bénéficie notre presse bien pensante. Certains journaux profitent à ce jour des largesses locatives presque symboliques de la Maison de la presse du 1er mai et celle de Kouba. Qui dit mieux ? Pourtant nous sommes dans un régime totalitaire qui ne tolère pas la liberté d'expression. Souplesses du régime ou complicité de la presse qui a accepté l'affront de se placer sous la tutelle du Ministre de l'Intérieur ? S'ajoute à cela un code de l'information qui tarde a venir. Comme si les propriétaires de la presse, en guise de reconnaissance au pouvoir, refusent de remettre la question du code de l'information sur la table des négociations. Acquis démocratiques et posologie démocratique à l'algérienne. Décidément tout est spécifique dans cette Algérie des généraux.