Peut-on réguler - et taxer - les relations entre les plateformes et les internautes, en particulier l'accord tacite qui conduit l'internaute à fournir gratuitement ses données personnelles ? Peut-on réguler - et taxer - les relations entre les plateformes et les internautes, en particulier l'accord tacite qui conduit l'internaute à fournir gratuitement ses données personnelles ? L'accélération de la baisse des coûts de collecte et de stockage des données liée au développement des technologies de l'information a transformé les business models des secteurs de la publicité et du commerce. Un accord tacite et opaque Les plateformes de vente peuvent désormais utiliser des bases de données détaillées des historiques de ventes afin de mieux cerner les utilisateurs et de pratiquer une tarification dynamique ciblée. Dans le même temps, d'autres plateformes, comme les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux, utilisent les données issues des recherches spontanées effectuées par les internautes. Elles peuvent les vendre à des annonceurs publicitaires, procurant ainsi un revenu instantané, ou à des intermédiaires qui les compilent et affinent de futurs ciblages publicitaires. Le plus souvent, une sorte d'accord tacite et opaque lie les plateformes Internet et leurs utilisateurs dans lequel un service ayant une valeur ajoutée pour l'utilisateur (propositions de produits, annonces ciblées, recherches par mots-clés, accès à des réseaux d'amis...) est fournie gratuitement en échange de la collecte de ses données. Peut-on améliorer cet accord tacite par des instruments de régulation, et en particulier par modalités de taxation ? Modéliser les comportements Pour apporter des éléments de réponse à cette question, nous nous sommes appuyés sur une modélisation des comportements des acteurs - utilisateurs et plateforme en situation de monopole. Nous distinguons les revenus provenant d'une utilisation ponctuelle des données (comme les enchères basées sur les recherches par mots-clés) de ceux provenant de l'exploitation des données (stockées et revendues notamment à des intermédiaires). Cette exploitation nécessite une perte de confidentialité et de contrôle pour l'internaute, qui subit ainsi un «coût psychologique», variable selon chacun. La plateforme s'engage à pratiquer un degré d'exploitation des données et les consommateurs décident d'accéder ou non à la plateforme. Celle-ci cherche ainsi à équilibrer deux effets car une hausse d'exploitation des données par utilisateur peut dissuader l'accès des utilisateurs sensibles à la perte de confidentialité. Dans ce cadre, sous les conditions les plus vraisemblables, le niveau d'exploitation des données choisi par la plateforme est excessif par rapport à celui préféré par les utilisateurs. Différentes modalités de taxation sur la collecte de données peuvent être envisagées afin de corriger cet excès. Dans une économie à coût marginal nul, une taxe sur les bénéfices n'affecte pas le choix de la plateforme. Une taxe payée par la plateforme pour chaque utilisateur réduit le profit réalisé sur tout utilisateur marginal accédant à la plateforme, et ne peut que conduire à une augmentation de l'exploitation des données. Une taxe spécifique payée par les utilisateurs - par exemple une taxe sur les fournisseurs de services Internet - se traduit par une réduction de la satisfaction des utilisateurs. Le seul outil fiscal permettant de corriger une collecte excessive de données est une taxe différenciée sur les revenus provenant d'une utilisation ponctuelle des données de ceux provenant d'autre part de leur exploitation. Si par exemple les autorités fixent un niveau d'imposition plus élevé sur la revente de données que sur les recettes d'enchères, ces impôts dissuadent la plateforme d'exploiter les données collectées, jouant le rôle classique d'une taxe dite pigouvienne correctrice des externalités. Option de désactivation Enfin, nous avons voulu nous intéresser à l'effet d'une option gratuite de désactivation permettant aux utilisateurs d'accéder à la plateforme sans l'exploitation de leurs données. Sous ce scénario, tout utilisateur accède à la plateforme et le marché est segmenté en deux groupes, ceux qui choisissent l'option et sur lesquels la plateforme perçoit seulement les revenus provenant de l'utilisation ponctuelle et les autres, dont les données sont aussi exploitées. Ces derniers étant a priori moins sensibles à la perte de confidentialité, la plateforme est incitée à augmenter d'exploitation de leurs données. In fine, l'introduction de l'option de désactivation de la collecte diminue le bénéfice de la plateforme, mais, de façon plus surprenante, peut aussi léser les utilisateurs du fait de l'augmentation de l'exploitation sur certains. F. B./G. D. The Conversation *Francis Bloch, Professeur Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Membre associé à PSE, Paris School of Economics - Ecole d'économie de Paris **Gabrielle Demange, Chaire associée, PSE, Directeur d'études EHESS, Paris School of Economics - Ecole d'économie de Paris In latribune.fr