La manifestation qui s'est déroulée jeudi soir à Al Hoceima, à l'appel du mouvement contestataire HIRAK et de son leader Nasser Zefzafi, a connu un succès indéniable. Une réussite que ne sauraient diminuer les polémiques marocaines sur le nombre de participants ou encore les accusations contre la figure emblématique du Mouvement Nasser Zefzafi, attaqué régulièrement par les prolongements médiatiques du Makhzen qui l'accusent cette fois-ci de recevoir ses ordres de l'Algérie voisine ! On a même vu, sur certains sites, une photo de Nasser Zefzafi en compagnie d'autres personnes, dans un salon nulle part, avec un cercle rouge entourant l'une d'elle, présentée comme le résident des services algériens à Paris (sic !) Mais la réalité des choses est bien têtue : la marche, totalement pacifique, bien organisée et bien encadrée, a constitué une réponse non équivoque aux déclarations gouvernementales et au communiqué des six partis de la coalition majoritaire qui ont tenté de la discréditer. Les habitants de la capitale du Rif ont exprimé ainsi un choix clair en optant pour ceux qui protestent avant tout contre le sous-développement chronique de leur région, son enclavement, l'absence d'infrastructures sociales et la présence massive et étouffante de forces sécuritaires. L'affaire Mohcine Fikri, du nom du poissonnier broyé par une benne à ordure au moment où il tentait d'empêcher des policiers de saisir sa marchandise, a certes servi de catalyseur puissant du mécontentement endémique des populations rifaines. Mais s'il a pu se prolonger dans le temps, réunir de plus en plus de participants, c'est parce que la coupe était déjà pleine depuis longtemps ! La permanence de la contestation, sa vigueur et les revendications qu'elle exprime en disent long sur la crise sociale et identitaire profonde et durable dans cette région symbolique. Les manifestants d'Al Hoceima ne sont pas tous des séparatistes et ne remettent pas tous en cause le système institutionnel. Beaucoup d'entre eux veulent juste de la justice sociale et de la démocratie. La forte tentation répressive, les qualifications abusives et les accusations de collusion avec des mains étrangères, tout cela risque de provoquer une radicalisation du Mouvement et des situations qui pourraient échapper à tout contrôle. La colère gronde de plus en plus fort dans un Rif symptomatique de la misère sociale dans le royaume. Et elle résonne d'autant plus fort que le climat social est délétère comme le soulignent certains éditorialistes de la presse marocaine. Nasser Zefzafi et ses partisans, ce n'est finalement «rien d'autre que la matérialisation sur le terrain des constats du Rapport de la Banque mondiale qui vient d'être rendu public», souligne un éditorialiste marocain. La mort effroyable du jeune marchand de poissons a donc fait remonter à la surface les malaises d'une région réprimée et parfois sauvagement depuis 1958. Le Rif se sent tout particulièrement défavorisé sur les plans économique et social, et estime son identité amazighe profondément bafouée. Outre l'enclavement, il y a la militarisation excessive de la région où est encore en vigueur un «dahir» royal de 1958 quand la guerre battait son plein. Aujourd'hui, le pouvoir central redoute plus que tout que l'émotion forte consécutive à la mort du poissonnier devienne le carburant d'une protestation de plus en plus indépendantiste. La crainte est d'autant plus justifiée que les formations politiques régionales, interdites jusqu'ici, ne sont naturellement pas là pour absorber ou amortir la contestation. Et les élites rifaines, domestiquées par Rabat, à commencer par Ilyas el Omari, leader du Parti Authenticité et Modernité, deuxième force parlementaire à la solde du Palais royal, sont incapables de phagocyter le mouvement de rébellion. Un mouvement solide et bien structuré. C'est à partir du Rif, du reste du pays et de l'étranger que s'exerce d'autre part un activisme divers et pluriel s'appuyant sur des mouvements porteurs des exigences sociales ou identitaire, de même que de la revendication d'autonomie ou d'indépendance. Il possède un tissu associatif dense et fait preuve d'un cyber-activisme assurant une veille technologique d'une certaine qualité. Le mouvement général compte aussi des relais médiatiques au sein de la communauté rifaine en Europe et aux USA, notamment en Espagne, en Belgique, en France et aux Pays-Bas où il dispose de radios et télés sur le Web. Ses mouvements politiques les plus en vue, sont, en plus du HIRAK Populaire, le Mouvement pour l'Autonomie du Rif (MAR), le Mouvement du 18 Septembre pour l'Indépendance du Rif et le dynamique MARC, le Mouvement pour l'autonomie du Rif central. Ce dernier bénéficie d'un organe d'information très actif, Tabrat.Info. Si certains militants particularistes réclament pour l'instant l'autonomie du Rif dans sa totalité ou uniquement dans sa partie orientale, d'autres, plus engagés, militent en revanche pour la «fondation d'un Etat moderne et démocratique qui est la République du Rif». N. K.