Après la forte mobilisation qui a caractérisé le dernier rassemblement populaire organisé dans la ville d'Al-Hoceima, le 18 mai dernier, et le calme relatif qui a suivi cette belle démonstration de force du mouvement «Hirak» du Rif, la tension est brutalement montée d'un cran dans toute la province d'Al-Hoceima et dans le Rif marocain en ce premier jour du mois sacré du Ramadhan. La raison en est que dans la nuit de vendredi à samedi, et durant les premières heures de la matinée, les services de sécurité marocains ont procédé à une trentaine d'arrestations au sein du «Hirak Rif», ce mouvement qui chapeaute la contestation rifaine depuis octobre 2016, suite à la mort du poissonnier Mohcine Fikri, écrasé dans une benne à ordures alors qu'il tentait de récupérer une partie de la marchandise que la police venait de lui saisir avant de la jeter dans un bac à ordures. Plusieurs animateurs du «Hirak», tels que l'ancien détenu politique, Mohamed Djelloul, ainsi que des activistes connus dans les réseaux sociaux et les médias, tous originaires des localités d'Al Hoceima, de Beni Bouayache et d'Imzouren, ont été arrêtés alors qu'un mandat d'arrêt a été lancé contre Nasser Zefzafi, la figure de proue du mouvement accusé d'avoir interrompu le prêche de l'imam. Les accusations retenues par le procureur du Roi sont lourdes : «Atteintes à la sûreté de l'Etat» et «d'outrage et haine des symboles du royaume lors des rassemblements publics». Le communiqué évoque également une enquête du Bureau national de la police judiciaire (BNPJ) où il est question de «réception de fonds de l'étranger» et «soutiens logistiques aux fins de propagande contre l'unité et l'intégrité du royaume». La gravité des accusations a surpris plus d'un étant donné que tout le monde s'est attelé, depuis le début, à louer le caractère pacifique d'un mouvement qui a tout fait pour éviter les dérapages, mais il est possible que le pouvoir marocain ait décidé de sévir pour éviter une possible contagion d'autres régions avec des revendications sociales aussi légitimes que celles du Rif. Selon plusieurs proches du mouvement que nous avons approchés, il n'y a jusqu'à présent aucune trace des personnes arrêtées, étant donné que les parents et les familles qui se sont présentés devant les commissariats n'ont reçu aucune réponse à leurs interrogations et ne savent toujours pas où sont détenus leurs enfants. L'étincelle à l'origine de cette brusque montée de tension est partie de la mosquée Mohamed V d'Al Hoceima où Nasser Zefzafi était allé accomplir la prière du vendredi. Lors du traditionnel prêche, l'imam s'est attaqué frontalement au «Hirak». Présent parmi les fidèles, Zefzafi n'a pu s'empêcher de dénoncer les propos du «fkih», répliquant avec virulence qu'il ne devait pas tenir de propos politiques dans une mosquée. Relayée à travers les réseaux sociaux, la scène qui avait été filmée avec des téléphones portables, a tôt fait d'enflammer la blogosphère marocaine. A la fin de la prière du vendredi, la police a bien tenté d'arrêter en son domicile le leader rifain, mais la mobilisation populaire a fait capoter cette mission. Il s'en est suivi des heurts et des escarmouches entre policiers et manifestants et des nouvelles plus ou moins alarmistes durant toute la soirée. Quant à Nasser Zefzafi, selon des proches à lui que nous avons contactés, il aurait pris la décision de quitter Al Hoceima pour se mettre en lieu sûr. Habitué des réseaux sociaux sur lesquels il est omniprésent, Zefzafi a transmis aux Rifains un dernier message : «Si vous avez de l'estime pour moi, je vous conjure de veiller à sauvegarder le caractère pacifique de notre mouvement. Je n'ai peur ni de la mort ni de l'arrestation, car je ne suis ni un voleur de deniers publics ni un pillard des ressources du pays ou de l'argent des pauvres ni même quelqu'un qui fait de fausses promesses», leur a-t-il dit. Plusieurs de ses camarades lui ont publiquement conseillé de se rendre à la police étant donné qu'il n'a rien à se reprocher, mais Nasser Zefzafi n'a toujours pas donné signe de vie à l'heure où nous écrivons ses lignes. En fin d'après midi de ce samedi, la ville d'Al Hoceima ainsi que toutes les localités du Rif baignaient dans le calme et la torpeur, comme assommées autant par le Ramadhan que par les mauvaises nouvelles qui annoncent des jours on ne peut plus difficiles.