Disons-le d'emblée, le nouveau Premier ministre a tout à fait raison de dire que l'Algérie n'est pas encore disposée à adhérer à l'OMC. Et les bonnes raisons qui confortent cette attitude de raison ne manquent pas. A l'appui, M. Abdelmadjid Tebboune a évoqué la nécessité de «protéger notre économie contre la mondialisation dévastatrice qui ne reconnait aucune limite et qui bannit tout ce qui est national». Et il a encore raison de dire que cette légitime défense procède d'un «droit souverain». L'Algérie, un pays protectionniste et souverainiste ? Oui, et c'est même un truisme que de l'affirmer. Dans ce cas, l'Algérie n'est pas un cas à part, comme le rappelle le Premier ministre, car «des pays occidentaux développés en Europe et en Amérique avaient déjà mis en place des dispositifs et mesures protectionnistes stricts». Notre pays a donc d'autant mieux le droit de se protéger que tous les accords avec les partenaires étrangers comportent des clauses protectionnistes spécifiques. Forts de cela, il pourrait prendre des mesures antidumping et des mesures compensatoires, et tout aussi bien édicter des mesures de sauvegarde et autres mesures exceptionnelles s'il y a lieu de protéger des industries naissantes, des secteurs en restructuration ou en difficulté. On a donc compris que Abdelmadjid Tebboune préconise de se hâter lentement dans le complexe processus d'adhésion à l'OMC débuté il y a 30 ans (juin 1987). Il faut le souligner, l'accession à l'OMC obéit à une procédure complexe et sans limite de temps. En outre, la procédure d'adhésion unifiée et codifiée n'est pas un schéma standardisé, vu qu'elle donne lieu plutôt à une procédure au cas par cas. A la base, le souci d'ajuster les politiques des pays candidats aux conditions et normes de fonctionnement du régime commercial multilatéral de l'OMC en matière de commerce de biens (Gatt), de services (Gats), de réglementation des investissements étrangers (Trims), de propriété intellectuelle liée au commerce (Trips) et de standards internationaux (OTC et SPS). L'accession est le résultat final d'un processus multidimensionnel impliquant des coûts d'ajustement sectoriels et institutionnels que le pays candidat doit assumer. Autrement dit, on ne peut adhérer à l'OMC que si on a procédé à un certain nombre de réformes structurelles de l'économie, du système financier et de l'arsenal juridique. Autrement dit encore, le requérant doit rendre son système de régulation, ou si l'on veut, de dérégulation économique, compatible avec les Accords de l'OMC. Il doit notamment dire quelles sont les concessions en matière d'accès au marché qu'il est concrètement disposé à faire. En d'autres mots, jusqu'où serait-il prêt à aller pour réduire le niveau de protection de son économie ? La durée des négociations dépend justement de la réponse à cette dernière question : s'ils estiment que les offres du requérant sont insuffisantes, les pontes de l'OMC décident alors de reconduire la négociation et, de ce fait, reporter l'intégration. Par ailleurs, l'adhésion à l'OMC est basée sur le principe même des avantages comparatifs. En théorie, un pays exportant un bien pour lequel il possède un avantage comparatif, a finalement intérêt à adhérer à l'OMC, dont la logique première repose sur l'accroissement des exportations dans le respect du principe de réciprocité. Avec toutefois l'effet induit représenté par la baisse des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires. Dans l'état actuel des choses, c'est-à-dire dans l'état de fragilité de son économie peu diversifiée et qui produit peu de valeur ajoutée, l'Algérie aurait-elle intérêt à subir de plein fouet le désarmement tarifaire ? Jusqu'ici, rien ne prouve que les accords de l'OMC garantissent automatiquement la compétitivité de l'offre nationale suite à l'adhésion. A ce stade, si l'Algérie adhérait à l'OMC, la plupart de nos entreprises publiques et privées, exception faite de Sonatrach et de Sonelgaz qui relèvent du domaine vital de souveraineté nationale, mettraient à terme la clé sous le paillasson ! Nos entreprises ne sont pas compétitives, à savoir qu'elles produisent rarement des marchandises à avantages comparatifs. Or, le choc concurrentiel d'une plus grande ouverture, au sens d'une ouverture non maîtrisée, pourrait aboutir à une destructuration du système productif. C'est évident, les enjeux réels pour l'Algérie ne résident pas, paradoxalement, dans une accession impérative et le plus tôt possible. Le choix de l'ouverture à la concurrence internationale opéré par le gouvernement Hamrouche avait inauguré un processus d'adaptation aux normes du multilatéralisme commercial. Processus qui a nécessité une transformation des régulations économiques intérieures dont dépend, à ce jour, la qualité de la croissance de l'économie nationale. Mais ces régulations internes se sont poursuivies à un rythme de tortue et de surcroit intermittent, avant de connaître un certain développement à la mi-2000 et une certaine accélération depuis 2012. Ce sont par conséquent ces transformations structurelles et institutionnelles, encore insuffisantes, qui expliquent la lenteur et la durée des négociations avec l'OMC. Et dans le cas algérien, les transformations internes entrent en contradiction avec le système d'allocations et de redistribution (transferts sociaux et subventions) propre au régime de croissance à l'Algérienne. En des mots plus simples, la paix sociale et la stabilité politique ont un coût ! Toute avancée significative dans les négociations avec l'OMC dépendra assurément de la capacité de gestion d'équilibres internes en constante évolution. Capacité qui relève des choix stratégiques du pouvoir suprême. Pour rappel, l'Algérie a réussi jusqu'ici les réformes dites de «première génération», celles de la stabilisation de l'économie et de la sauvegarde des grands équilibres macroéconomiques. Elle ne parvient toutefois pas à réussir les réformes de «seconde génération» : fiscales et financières, libéralisation et régulation des marchés, ainsi qu'une plus forte progression de l'Etat de droit. Et comme on le constate enfin, les pouvoirs publics sont dans une dynamique paradoxale de réformes sans changement profond. N. K.