De nouveau, et à la faveur de sa dernière adresse au peuple, à l'occasion du 55e anniversaire de l'Indépendance, le président de la République a rappelé une douloureuse évidence : le «sévère recul des revenus extérieurs du pays et la dégradation de sa balance des paiements extérieurs», même «s'il garde encore intacte sa souveraineté de décision économique et sociale, grâce aux réserves de change […] qui sont relativement importantes, mais qui s'érodent déjà». Le signal d'alarme est encore une fois donné par le chef de l'Etat qui «renouvelle (son) appel à s'atteler davantage à l'effort, et à mettre en œuvre, souverainement, les réformes économiques nécessaires». C'est-à-dire, «la réhabilitation de la valeur du travail, l'amélioration de l'environnement de l'activité économique et la concrétisation diligente de l'ensemble des réformes nécessaires». Appel similaire, il y a un an, à l'occasion de la commémoration des événements du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. A cette date, le président Abdelaziz Bouteflika avait souligné la nécessité de «moderniser les modes et règles de gouvernance, de démocratie et de liberté pour les adapter à l'incontournable processus de réformes économiques ». Et c'est encore lui qui affirmait alors que «nous nous devons de construire une économie diversifiée et concurrentielle […] à l'ère de la mondialisation». Enorme défi ! Mais pour mobiliser les énergies et les compétences, il faudrait donc, banale évidence, mais préalable nécessaire, procéder à de profondes réformes. En priorité absolue, l'Administration et surtout le système bancaire qui représentent tous les deux un sérieux danger pour la bonne gouvernance du pays. «Si nous avions une administration efficace, nous aurions été un pays émergent», avait déclaré un jour Liès Kerrar, expert financier algérien. Le président d'Humilis Finance, utilise le verbe être au passé, manière de dire que l'Administration, ce Léviathan bureaucratique, est le frein permanent qui a empêché et empêche toujours l'Algérie de posséder une économie développée et créatrice de richesses. Dans la bouche de ce fils d'homme d'affaires avisé qui a appris le business en Chine de Mao et de Deng Xiao Ping, le constat est limpide : «La faiblesse de l'industrie est liée directement à l'environnement juridique et administratif qui ne favorise pas le développement industriel». Sa réforme, comme il le suggère, est donc vitale. C'est le premier chantier à lancer. On parle souvent de pouvoir réel ou occulte. On fantasme beaucoup sur l'influence d'un supposé cabinet noir. On spécule aussi sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l'armée et la présidence de la République qu'on imagine toutes les deux omnipotentes et omniscientes. On oublie toujours que le vrai pouvoir est celui du «Système». Ce Système, c'est notamment celui de l'Administration et des cercles concentriques de ses différentes clientèles. Pouvoir abstrait mais bien réel qui constitue une grande force inertielle. Gigantesque machine qui gère la rente pétrolière et génère des rentes de situation. Sa puissance d'immobilisation peut empêcher de réformer, réaliser et bien exécuter, quelle que soit la volonté politique de réforme. La vocation première de cette monstruosité est de garantir sa propre survie. Alors la machine bloque, retarde, déforme, paralyse ou sabote. Bref, met d'autant plus en échec que ses agents sont incompétents et médiocres. L'Administration, avec ses déficits structurels et humains, et surtout sa mentalité spécifique, est un vrai fléau. Sempiternel constat, elle est sous-équipée, en manque criard d'effectifs, surtout en cadres d'exécution, de suivi, de contrôle et d'évaluation de qualité. S'agissant d'autre part du système bancaire public, et hormis quelques avancées techniques encore mal maîtrisées, l'outil peine à sortir de son incroyable archaïsme. Les réformettes conduites jusqu'ici pour ne pas déranger des banques publiques conçues pour servir un système rentier et bureaucratique en lieu et place de l'investissement et du développement économique, ne pouvaient pas tirer le secteur vers son indispensable modernité et sa nécessaire efficacité. Comparativement, le degré de maîtrise des nouvelles technologies financières et l'efficacité du service sont de très loin meilleurs au Maroc, en Tunisie ou en Côte d'Ivoire. C'est évident, la faiblesse structurelle et la médiocrité intrinsèque de nos banques sont les produits d'un système financier sclérosé par plus d'un demi-siècle d'économie dirigée, rentière et prébendière. Hormis des aménagements à la marge, aucune action innovante majeure n'a été effectuée jusqu'ici. Mauvais accueil, tendance des agents à compliquer la vie aux clients, procédures complexes et délais très longs pour ouvrir un compte bancaire, délivrer un carnet de chèque, calculer des intérêts, effectuer une opération de change, sans parler du peu d'engouement pour l'investissement, distinguent toujours les banques algériennes. Sans oublier une gestion artisanale des comptes clients qui favorise l'émission de chèques sans provision. Ces derniers se multiplient à cause également des dysfonctionnements d'un traitement informatique qui a du mal à se mettre en place, tant est absente la volonté d'introduire le maximum de rigueur et de transparence. On comprend donc pourquoi les opérateurs économiques, tout comme le citoyen lambda, évitent souvent l'usage du chèque, lui préférant le paiement en espèces, beaucoup plus simple et plus sécurisant. Et ce, malgré l'obligation faite aux usagers de payer par chèques ou par virements les dépenses supérieures à un million de dinars. Un système bancaire aussi bureaucratique et aussi peu performant n'est certainement pas en mesure de favoriser la bancarisation des capitaux privés. Et c'est en bonne partie pour cette raison que la monnaie fiduciaire joue encore un rôle primordial dans les habitudes de thésaurisation et de paiements des Algériens, au détriment de la monnaie scripturale. Encore plus grave, les banques étrangères censées montrer la voie de la modernité aux banques publiques, ont, au contraire, été tirées vers le bas à cause de la législation bancaire incroyablement archaïque, conçue davantage pour mettre des freins que pour favoriser l'initiative et la prise de risque. Difficile sinon impossible d'opérer des changements réellement innovants avec une telle législation que les pouvoirs publics successifs ne se sont pas empressés d'adapter aux normes universelles. N. K.