«Si nous avions une administration efficace, nous aurions été un pays émergent». Cette profession de foi est de Liès Kerrar, expert financier algérien et président d'Humilis Finance qui sait de quoi il parle. Et il le fait au passé, manière de dire que l'Administration algérienne, ce Léviathan bureaucratique, est le principal obstacle, le frein permanent qui a empêché et empêche l'Algérie de posséder une économie développée et créatrice de richesses. Dans la bouche de ce fils d'homme d'affaires avisé qui a appris le business avec la Chine de Mao et de Deng Xiao Ping, le constat est limpide : «La faiblesse de l'industrie est liée directement à l'environnement juridique et administratif qui ne favorise pas le développement industriel». Par conséquent, «il y a beaucoup de réformes à faire au niveau de l'Administration justement pour éviter à l'entreprise la débauche d'énergie qu'engendre le traitement des questions administratives et lui permettre de se consacrer à l'essentiel, l'amélioration de sa compétitivité». Sa réforme, vaste et profonde, comme le suggère Kerrar, est une priorité nationale absolue. Le premier chantier et le plus urgent à lancer, ici et maintenant et pas plus tard que demain ! Car la force inertielle et le pouvoir de nuisance de la bureaucratie sont un risque majeur et permanent pour la sécurité nationale. L'affirmer ainsi n'est en rien exagéré. On parle souvent de pouvoir réel, apparent ou occulte. On fantasme beaucoup sur l'influence d'un supposé cabinet noir. On divague même sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l'armée et la présidence de la République qu'on imagine toutes les deux omnipotentes et omniscientes. On oublie toujours que le vrai pouvoir est celui de ce qu'on appelle communément le Système, avec un grand S. Ce Système, c'est-à-dire le pouvoir, le vrai, c'est finalement celui de l'Administration, avec un grand A. Ce pouvoir abstrait mais bien réel constitue la plus grande force dans le pays. Gigantesque parti qui gère la rente pétrolière et génère des rentes de situation. Ce pouvoir, avec un grand P, est celui d'un Léviathan réel. Dans la Bible, cette créature indéfinie est un monstre colossal, un dragon, un serpent ou un immense crocodile dont la forme est imprécise. Chez le philosophe Hobbes, le Léviathan est une métaphore qui désigne l'Etat comme abstraction. En Algérie, l'Etat, c'est l'Administration et inversement. La puissance inertielle que ce Léviathan met en branle peut empêcher de réformer, de réaliser et d'exécuter, quelle que soit la volonté supérieure qui en est à la base. La vocation première de cette monstruosité est de garantir sa survie finale. Alors il bloque, retarde, déforme, paralyse, sabote. Bref, met d'autant plus en échec que ses agents sont incompétents et médiocres. À l'image du système bancaire qui est un danger pour l'économie nationale du fait de son organisation antédiluvienne favorisant l'inertie, l'Administration, avec ses déficits structurels et humains et surtout sa mentalité spécifique, est un vrai fléau. On ne le dira jamais assez. Sempiternel constat, l'Administration est sous-équipée, en manque criard d'effectifs, notamment en cadres d'exécution, de suivi, de contrôle et d'évaluation. Au niveau local, ses différentes structures sont souvent des coquilles vides. C'est aussi le cas à l'échelle nationale. D'où les immenses retards à l'exécution des projets et des décisions. D'où les surcoûts financiers. D'où l'alimentation de la colère sociale qui finit par exploser ici ou là. Ajoutons également la corruption, la concussion, la gabegie, l'impéritie propre à l'ensemble de l'Administration. N. K.