«Moderniser les modes et règles de gouvernance, de démocratie et de liberté pour les adapter à l'incontournable processus de réformes économiques». Profession de foi du président de la République, exprimée à l'occasion du 20 août qui commémore le soulèvement dans le Nord-Constantinois (1955) et la Plateforme de la Soummam (1956). Et c'est encore le chef de l'Etat qui affirme que «nous nous devons de construire une économie diversifiée et concurrentielle (…) à l'ère de la mondialisation». Et d'appeler ses compatriotes à «mobiliser leurs énergies et leurs compétences, comme l'ont si bien fait leurs aînés après le Congrès de la Soummam jusqu'à ce que le drapeau algérien soit hissé haut le 5 juillet 1962» Formidable programme, extraordinaire défi ! Mais pour mobiliser les énergies et les compétences, il faudrait procéder à de vastes réformes. Préalable nécessaire. On ne peut donc motiver et mobiliser sans réformer. En priorité absolue, l'Administration et le système bancaire qui représentent un sérieux danger pour la bonne gouvernance du pays. «Si nous avions une administration efficace, nous aurions été un pays émergent», a déclaré un jour Liès Kerrar, expert financier algérien et président d'Humilis Finance. Et il sait de quoi il parle. Et il le fait au passé, manière de dire que l'Administration, ce Léviathan bureaucratique, est le frein permanent qui a empêché et empêche toujours l'Algérie de posséder une économie développée et créatrice de richesses. Dans la bouche de ce fils d'homme d'affaires avisé qui a appris le business avec la Chine de Mao et de Deng Xiao Ping, le constat est limpide : «La faiblesse de l'industrie est liée directement à l'environnement juridique et administratif qui ne favorise pas le développement industriel». Sa réforme, comme il le suggère, est donc vitale. C'est le premier chantier et le plus urgent à lancer. On parle souvent de pouvoir réel ou occulte. On fantasme beaucoup sur l'influence d'un supposé cabinet noir. On spécule aussi sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l'armée et la présidence de la République qu'on imagine toutes les deux omnipotentes et omniscientes. On oublie toujours que le vrai pouvoir est celui du Système. Ce Système, c'est notamment celui de l'Administration. Pouvoir abstrait mais bien réel qui constitue une grande force inertielle. Gigantesque machine qui gère la rente pétrolière et génère des rentes de situation. La puissance d'immobilisation qui lui est propre peut empêcher de réformer, de réaliser et d'exécuter, quelle que soit la volonté politique de réformer. La vocation première de cette monstruosité est de garantir sa survie. Alors la machine bloque, retarde, déforme, paralyse et sabote. Bref, met d'autant plus en échec que ses agents sont incompétents et médiocres. L'Administration, avec ses déficits structurels et humains et surtout sa mentalité spécifique, est un vrai fléau. Sempiternel constat, elle est sous-équipée, en manque criard d'effectifs, surtout en cadres d'exécution, de suivi, de contrôle et d'évaluation. S'agissant d'autre part du système bancaire, hormis quelques avancées techniques encore mal maîtrisées, l'outil peine à sortir de son incroyable archaïsme. Les réformettes conduites jusqu'ici pour ne pas déranger les banques publiques conçues pour servir un système rentier et bureaucratique au lieu du développement économique, ne pouvaient pas tirer le secteur vers l'indispensable modernité. Comparativement, le degré de maîtrise des nouvelles technologies financières et l'efficacité du service sont de très loin meilleurs au Maroc, en Tunisie ou en Côte d'Ivoire. C'est évident, la faiblesse structurelle et la médiocrité intrinsèque de nos banques sont les produits d'un système financier sclérosé par plus d'un demi-siècle d'économie dirigée et rentière. Mis à part des aménagements superficiels et à la marge, aucune action innovante majeure n'a été effectuée. Mauvais accueil, tendance des agents à compliquer la vie aux clients, procédures complexes et délais très longs pour ouvrir un compte bancaire, délivrer un carnet de chèque, calculer des intérêts, obtenir un relevé de compte, effectuer une opération de change, distinguent toujours les banques algériennes. Sans oublier une gestion catastrophique des comptes-clients qui favorise souvent l'émission de chèques sans provision. Ces derniers se multiplient à cause également des dysfonctionnements d'un traitement informatique qui a du mal à se mettre en place, tant est absente la volonté d'introduire le maximum de rigueur et de transparence. On comprend donc pourquoi les opérateurs économiques tout comme le citoyen lambda évitent souvent l'usage du chèque, lui préférant le paiement en espèces, beaucoup plus simple et plus sécurisant. Même nos partenaires étrangers se sont inscrits dans cette logique du paiement par cash, ce que confirment d'ailleurs les chiffres du commerce extérieur qui font état d'importations payées à plus de 80% en liquide. Et ce, malgré l'obligation faite aux usagers de payer par chèques ou par virements les dépenses supérieures à 1 million de dinars. Un système bancaire aussi bureaucratique et aussi peu performant n'est certainement pas en mesure de favoriser la bancarisation des capitaux. Et c'est en bonne partie pour cette raison que la monnaie fiduciaire joue encore un rôle primordial dans les habitudes de thésaurisation et de paiements des Algériens. Encore plus grave, les banques étrangères sensées montrer la voie de la modernité aux banques publiques, ont, au contraire, été tirées vers le bas à cause de la législation bancaire la plus archaïque au monde. Difficile sinon impossible d'opérer des changements réellement innovants avec une telle législation que les pouvoirs publics successifs ne se sont pas empressés d'adapter aux normes universelles. N. K.