Voilà un message du chef de l'Etat algérien qui n'est pas simplement circonstanciel et à caractère purement protocolaire, donc convenu ! A l'occasion de la fête nationale française du 14 juillet, le président Abdelaziz Bouteflika a en effet adressé à son homologue Emanuel Macron un message à forte teneur politique, et qui ouvre de nouvelles perspectives de développement pour les relations entre l'Algérie et la France. Il y est question du partenariat d'exception qui reste à construire entre les deux pays, de la pacification de la mémoire coloniale, de la lutte contre le terrorisme notamment au Sahel et de la prochaine visite prévue à Alger du huitième Président de la Ve république française. Signe manifeste de bonne volonté, le chef de l'Etat algérien réitère à l'occasion sa «pleine disponibilité» et sa «volonté résolue» à œuvrer, de consert, avec son alter ego français, pour «consolider davantage» la coopération bilatérale afin de la porter «à la hauteur du partenariat d'exception que les deux pays ont décidé d'édifier ensemble». Le Président algérien définit ensuite les deux déterminants du partenariat d'exception que sont la «réconciliation des mémoires» de la colonisation et le co-développement. Le chef de l'Etat, qui souligne d'autre part la qualité du dialogue avec son jeune homologue, l'exhorte à «conjuguer les efforts contre le terrorisme abject […] dans notre espace méditerranéen ainsi que dans la région du Sahel». Nul doute que les balises ainsi posées par le président Abdelaziz Bouteflika seront au cœur de ses entretiens avec le président Emanuel Macron lors de sa prochaine visite d'Etat à Alger où il sera accueilli «avec plaisir». On retient donc de ce message présidentiel que le partenariat d'exception algéro-français reste à édifier. Et que le président Abdelaziz Bouteflika espère que le successeur de François Hollande saura faire preuve de plus de volonté et de plus d'énergie pour donner une réalité plus concrète et plus riche à la relation bilatérale qui doit être élevée au niveau d'un partenariat d'exception. Il est clair que l'Algérie avait misé d'entrée de jeu sur le candidat Macron qui a été reçu à Alger, avec beaucoup d'égards, comme candidat à l'Elysée. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Ramtane Lamamra, qui ne semblait pas parler pour lui-même seulement, avait déclaré «qu'Emanuel Macron est notre ami, un ami de l'Algérie». L'usage du pronom possessif «nôtre» suggérait alors, au minimum, une certaine connaissance de l'homme et de sa trajectoire politique. Il est vrai également qu'Emanuel Macron, à partir des deux postes sensibles que furent pour lui le secrétariat général de l'Elysée et le ministère des Finances, avait joué un rôle important dans la définition du partenariat d'exception que les présidents François Hollande et Abdelaziz Bouteflika voulaient promouvoir. Des liens de sympathie ont pu être noués aussi entre les hommes à la faveur des échanges qui se sont multipliés de part et d'autre depuis l'arrivée de François Hollande à l'Elysée. Avec Emanuel Macron, les relations algéro-françaises connaitraient-elles cependant l'intensité et la densification nécessaires pour être érigées à ce degré élevé de partenariat d'exception devenu le mantra qui qualifie le mieux l'évolution des rapports bilatéraux ? Cette relation si spécifique, a-t-elle bien évolué pour devenir exceptionnelle depuis la visite d'Etat du président François Hollande à Alger, en décembre 2012 ? Il est admis que ce voyage a permis de normaliser une relation bilatérale dominée cycliquement par la passion et lestée du poids de la mémoire de la colonisation. Normalisée au sens où on lui a défini de nouvelles normes et un cadre ordonné de fonctionnement. Cette relation s'est normalisée davantage grâce à la raison des affaires. Au point d'être bâtie presque entièrement sur le seul business sans pour autant que cette relation commerciale soit fondée sur l'équation gagnant-gagnant. A y regarder de près, et surtout sur le fond, l'Algérie reste globalement une terre de contrats et de bonnes affaires pour le commerce extérieur français. Elle n'est pas encore un grand partenaire stratégique. La profondeur stratégique de la France, dans tous les sens du terme, c'est indiscutablement et toujours le Maroc. Il est intéressant d'ailleurs de constater qu'Emanuel Macron a quand même réservé symboliquement son premier déplacement au Maghreb, en sa qualité de nouveau chef de l'Etat français, au Maroc, contrairement à son prédécesseur. Sous réserve de ce que les relations algéro-françaises deviendraient sous sa présidence, on se contentera de souligner pour l'instant qu'elles n'ont pas su dépasser la dimension économique et commerciale, en dépit de la «Déclaration d'Alger» de décembre 2012 qui vise à prendre en compte la portée humaine et stratégique dans les échanges. Le président Jacques Chirac fut en fait le seul chef d'Etat français à avoir essayé de lui donner une dimension stratégique. Mais sa volonté fut contrariée au sein même de son propre camp, notamment à cause de la loi scélérate de 2005 glorifiant la colonisation. Entre la France et l'Algérie, il y a surtout des contradictions diplomatiques stratégiques. Surtout la question de la colonisation du Sahara occidental, le Sahel et la Libye. Au point que les divergences sur la question sahraouie soient étalées en plein jour comme lors de d'une visite du Premier ministre Manuel Valls à Alger, et alors même que la question du Sahara occidental ne faisait pas partie d'un agenda purement technique et commercial. En fait, la diplomatie algérienne ne supporte plus la position d'alignement sur le Maroc, une ligne constante depuis la présidence de Giscard d'Estaing. La vraie profondeur stratégique de la France en Afrique, on ne le répétera jamais assez, c'est le Maroc qui est pour elle un parfait relais en Afrique. Emanuel Macron serait-il sur cette même ligne ? A son propos, Ramtane Lamamra avait dit qu'il est un «ami de l'Algérie». Sous-entendu, nous Algériens, on est mieux disposés à élargir avec lui le champ de l'entente cordiale pour bâtir une relation qui serait enfin du type gagnant-gagnant. Mais en réalité, si on avait pensé à Alger qu'Emanuel Macron est un «ami de l'Algérie», on ignore en revanche si lui-même se pense comme tel. «L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, elle n'a que des intérêts permanents», disait Lord Palmerston, leader de la Chambre des communes britannique (1859–1865). Le général de Gaulle et ses successeurs avaient adopté cette devise froide. Elle pourrait être reprise comme viatique par la diplomatie algérienne, car il n'y a pas d'amour entre Etats, il n'y a toujours que des preuves d'amour. C'est-à-dire des intérêts bien compris et bien défendus, de part et d'autre. N. K.