Au lendemain du succès d'Emmanuel Macron, élu chef de l'Etat français avec 66,1% des voix dimanche soir, le président Abdelaziz Bouteflika a félicité le nouveau locataire de l'Elysée pour son «élection bien méritée», affirmant que le peuple français a «distingué un ami de l'Algérie». «Votre élection bien méritée (...) récompense, à bon droit, la force de votre volonté, la lucidité de votre vision et la rectitude de vos engagements», a déclaré Bouteflika dans son message de félicitations. Le président Bouteflika a estimé que «le peuple français qui a su choisir en vous l'homme d'Etat, de cœur et d'esprit, capable de présider à ses destinées dans cette conjoncture difficile et de conduire sa trajectoire vers l'avenir qualitativement meilleur que vous avez projeté avec une conviction communicative, a, ce faisant, fort opportunément distingué un ami de l'Algérie». Ne manquant pas d'évoquer les relations entre les deux pays, Abdelaziz Bouteflika a salué la «contribution significative» de Macron, dans ses fonctions ministérielles, à «l'édification du partenariat d'exception» entre Alger et Paris. Pour le président Bouteflika, les «anticipations et initiatives» du nouveau chef d'Etat français ont fait «l'ample démonstration de (sa) claire détermination à travailler avec nous à compenser les occasions manquées dans les relations algéro-françaises» et cela «par l'ouverture de nouveaux horizons porteurs de la promesse d'une mémoire résolument assumée dans sa vérité et son intégrité et d'une amitié véritablement arrivée à la maturité ainsi que d'intérêts avantageusement équilibrés, la communauté algérienne installée en France et les citoyens français présents en Algérie devant demeurer un ressort humain précieux à honorer et à préserver». Ainsi donc le président de la République a tenu à cadrer les relations algéro-françaises en rappelant au nouveau président français «la promesse d'une mémoire résolument assumée», une référence faite, à ne pas se tromper, à ses déclarations sur la colonisation française lors de son déplacement à Alger durant la campagne présidentielle. Et sur ce déplacement en février dernier, le Président a écrit, en rappel : «Votre récente visite à Alger, dans le contexte du lancement de votre remarquable marche vers l'accomplissement de votre haute destinée nationale, a déposé, pour toujours, dans le patrimoine commun de nos deux pays et au-delà, la pétition de principe empreinte de courage politique et de sincérité humaine hors du commun quant à la nature irrécusablement condamnable du colonialisme». «Cette attitude pionnière de votre part vous place, naturellement et légitimement, dans la position-clé de protagoniste, convaincu et convainquant, du parachèvement d'une réconciliation authentique entre nos deux pays, dans la fidélité à des valeurs propres aux peuples dont la proximité dans les épreuves de la confrontation se valorise en un compagnonnage dans l'espérance à nul autre comparable», a ajouté le Président Bouteflika. Et de conclure : «(…) J'ai grand plaisir à vous adresser mes plus chaleureuses félicitations auxquelles je joins les vœux sincères que je forme pour votre plein succès qui sera celui de la France amie dans le rayonnement que la communauté internationale attend d'elle parmi les nations qui portent l'espoir d'une paix et d'une prospérité bénéficiant aux générations actuelles et futures à travers le monde». Il y a lieu de rappeler que lors de sa visite à Alger, Emmanuel Macron avait qualifié la longue colonisation française de «crime contre l'humanité», suscitant de la sympathie en Algérie et une polémique en France. Rappelons également que le candidat du mouvement En Marche!, qui a accompli une étape indispensable et symbolique pour un candidat à l'élection présidentielle française en entamant une visite en Algérie, a été reçu avec les honneurs avec une série d'entretiens ministériels où il a évoqué le poids du passé et les promesses de partenariats d'avenir. Tapis rouge pour l'ancien ministre de l'Economie, venu à Alger pour étoffer sa stature internationale et marquer davantage son intérêt pour le bassin méditerranéen. Emmanuel Macron avait été reçu comme un chef d'Etat avec à son agenda une rencontre avec le chef du gouvernement Abdelmalek Sellal et plusieurs ministres, ceux des Affaires étrangères, de l'Industrie et de l'Education nationale. Macron avait fait part de sa volonté de porter une vision d'avenir au partenariat entre l'Algérie et la France. «Ma volonté est de porter une vision ouverte, dynamique et d'avenir pour donner plus de densité au partenariat entre l'Algérie et la France», avait-il indiqué, relevant que les relations entre les deux pays se sont améliorées au cours de ces deux dernières années, notamment après 2012 suite à la visite effectuée en Algérie par le président français, François Hollande. Ce qui est certes vrai. Cependant le président Hollande qui avait également fait des promesses électorales avant son accession à la présidence française n'a pas su les tenir. Et il ne s'agit pas uniquement de l'histoire partagée entre les deux pays mais également, pour ne citer que cet exemple, de la question sahraouie où la France a affiché son parti pris pour le royaume chérifien. D'ailleurs la dernière visite accordée par le président sortant François Hollande a été au roi du Maroc, présent en France dans le cadre d'une visite privée. Il y a également la bourde de son Chef du gouvernement Emmanuel Valls qui n'a pas du tout été du goût de la partie algérienne. Depuis aucun membre de son gouvernement n'a été reçu par le président Bouteflika. Faut-il rappeler qu'à moins de 20 jours du premier tour de la présidentielle française, le Premier ministre du gouvernement socialiste, Bernard Cazeneuve, a fait son dernier déplacement en Algérie comme Premier ministre de François Hollande. Lors de cette dernière visite de courtoisie qui devait être une visite-bilan de fin du quinquennat de François Hollande, le Premier ministre français n'a finalement pas rencontré le président Bouteflika. Aujourd'hui qu'Emmanuel Macron est élu Président, le chef de l'Etat Abdelaziz Bouteflika a pris sa plume pour féliciter son homologue et lui rappeler ses promesses. Une manière, détournée, d'inviter le nouveau locataire du Palais de l'Elysée à aller plus loin dans sa démarche de dénonciation de l'entreprise coloniale. L'envoi du message coïncide avec la commémoration d'une date fortement symbolique, à savoir le 8 mai 1945. Un jour de deuil en Algérie où, en ce 8 mai 1945, des dizaines de milliers d'Algériens ont été massacrés, lynchés, torturés, jetés dans des fours à chaux par l'armée française dans plusieurs villes de l'est du pays, après avoir seulement revendiqué le droit à l'existence, la fin du colonialisme, au lendemain de la victoire des alliés sur le nazisme. Il y a 72 ans, les promesses politiques de De Gaulle ont vite été oubliées et remplacées par une répression incroyable. Emmanuel Macron ira-t-il, lui, plus loin que ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, en reconnaissant les crimes du colonialisme français en Algérie ? Ou va-t-il, lui aussi, oublier ses promesses électorales ? H. Y.