Dans certaines communautés des pays en voie de développement comme des pays développés, un scepticisme infondé face à la vaccination constitue depuis quelques années l'un des plus sérieux obstacles aux progrès de la santé publique dans le monde. Dans certaines communautés des pays en voie de développement comme des pays développés, un scepticisme infondé face à la vaccination constitue depuis quelques années l'un des plus sérieux obstacles aux progrès de la santé publique dans le monde. De fait, ce comportement constitue l'une des principales raisons pour lesquelles les maladies infectieuses éradicables persistent encore aujourd'hui. À travers le monde, les efforts d'éradication de la polio sont par exemple mis à mal en Afghanistan, au Pakistan et au Nigeria, où le règne des militants islamistes conduit à une résistance accrue aux campagnes de vaccination. De nombreux pays à revenu élevé ont par ailleurs connu une recrudescence de la rougeole ces dernières années, en raison de craintes liées aux vaccins, nées après la publication de travaux erronés dans la revue médicale britannique The Lancet en 1997. Plus récemment, un scepticisme quant à la sécurité et à l'efficacité des vaccins a progressé dans les pays du sud de l'Europe. D'après une étude de 2016, la Grèce figurerait dans le top dix des pays les plus dubitatifs concernant la sécurité des vaccins. Comme l'a souligné le ministre grec de la Santé, Andreas Xanthos, les professionnels de la médecine rencontrent de plus en plus de parents réticents à faire vacciner leurs enfants. De même, en Italie, la ministre de la Santé Beatrice Lorenzin a récemment attiré l'attention sur une campagne de «fake news» appuyée par le parti d'opposition Mouvement cinq étoiles, et visant à dissuader les parents de faire vacciner leurs enfants. Or, le pourcentage d'enfants italiens de deux ans vaccinés contre la rougeole est d'ores et déjà inférieur à 80%, bien en dessous du seuil recommandé, fixé à 95% par l'Organisation mondiale de la santé. Pas étonnant que l'Italie ait constaté cinq fois plus de cas de rougeole en avril 2017 qu'en avril 2016. Au mois de mai, la Grèce et l'Italie ont chacune mis en œuvre des politiques très différentes face au scepticisme lié à la vaccination. En Grèce, bien que la vaccination des enfants soit obligatoire depuis 1999 (excepté chez les enfants présentant une pathologie reconnue), Xanthos a prévu une possibilité dérogatoire pour les parents ne souhaitant pas faire vacciner leurs enfants. Par opposition, le Parti démocrate italien de centre gauche a rendu obligatoires pour tous les enfants les vaccins prévus contre 12 maladies évitables. En vertu d'une nouvelle loi, les enfants non vaccinés ne sont plus autorisés à se rendre à l'école, les parents d'enfants non vaccinés s'exposant par ailleurs à une amende en cas de non-respect de la loi. D'après la ministre Lorenzin, cette loi a pour but d'adresser «un message très fort au public» quant à l'importance de la vaccination. Autrement dit, deux mouvements de gauche ont répondu de manière diamétralement opposée au même problème de santé publique. Là où la Grèce est passée du paternalisme au laissez-faire, l'Italie s'est orientée dans la direction inverse. La décision prise par le gouvernement grec conduit par Syriza constitue sans aucun doute la plus étrange des deux, dans la mesure où Syriza a tendance à préconiser une forte intervention de l'Etat dans la plupart des autres domaines de mesures politiques. En Italie, le gouvernement choisit de répondre à l'agenda anti-vaccination promu par le très populiste Mouvement cinq étoiles, qui est devenu partie intégrante de la campagne plus large que mène ce mouvement contre l'Etat, contre les partis politiques de gouvernement, ainsi que contre les «experts» responsables de la crise financière de 2008 et du malaise économique prolongé de la zone euro. Mais au-delà des considérations politiques, un certain nombre de raisons évidentes devraient conduire les gouvernements à rendre la vaccination obligatoire pour tous les enfants, plutôt que de laisser aux parents le choix de décider. Car en fin de compte, l'Etat a pour responsabilité de protéger les individus vulnérables - en l'occurrence les jeunes enfants- contre un mal prévisible. En 1990, la Grèce a ratifié la Convention des Nations unies sur les droits de l'Enfant, qui reconnaît à tous les enfants «le droit de jouir du meilleur état de santé possible, ainsi que de bénéficier des services médicaux et de rééducation». En permettant à des parents mal informés de passer outre la vaccination, la Grèce expose ses enfants à des maladies infectieuses évitables, et viole ouvertement sa promesse consistant à «garantir qu'aucun enfant ne soit privé de son droit d'accès à de tels services de santé». Par ailleurs, les gouvernements ont pour responsabilité de développer des biens publics au travers de leur législation, biens publics dans le cadre desquels s'inscrit la notion d'«immunité collective». Cette immunité collective implique un taux de vaccination suffisamment élevé pour empêcher la propagation d'une maladie au sein de la population. Atteindre l'immunité collective constitue le seul moyen de protéger les membres les plus vulnérables d'une communauté, ceux qui ne peuvent être vaccinés en raison d'un affaiblissement immunitaire, ou tout simplement d'un âge trop avancé. En outre, la vaccination est un instrument crucial de la lutte contre l'un des plus sérieux défis sanitaires du XXIe siècle : la résistance aux antimicrobiens. En prévenant les infections, les vaccins empêchent également l'utilisation excessive d'antibiotiques, ralentissant ainsi le développement d'une résistance aux médicaments. Plus généralement, il est très largement reconnu qu'un taux de vaccination élevé est synonyme d'une population en meilleure santé, dont les membres peuvent ainsi contribuer davantage à leur communauté su le plan à la fois économique et social. Aucun obstacle médical ou technique ne nous empêche d'éradiquer des maladies infectieuses évitables telles que la rougeole et la polio. C'est la réticence de l'opinion publique face à la vaccination qui constitue le plus grand obstacle. En permettant aux parents de prendre des décisions mal avisées concernant la santé non seulement de leurs propres enfants, mais également de toute leur communauté, le gouvernement conduit par Syriza ne fait qu'aggraver le problème. Il incombe aux gouvernements de sensibiliser l'opinion publique afin d'améliorer le taux de vaccination, plutôt que de valider des craintes infondées concernant la sécurité des vaccins. Aucun Etat ne peut atteindre l'immunité collective - et finalement éradiquer les maladies infectieuses évitables- s'il permet aux parents de déroger à la vaccination de leurs enfants, comme c'est le cas en Grèce. Mais aucun pays ne peut non plus y parvenir en se contentant de sanctionner les parents non respectueux de la règle, comme on l'observe en Italie. En définitive, pour vaincre les maladies infectieuses, il va nous falloir rétablir la confiance en l'expertise, rebâtir la confiance auprès des communautés qui depuis quelques années se montrent de plus en plus suspicieuses vis-à-vis de l'autorité. D. M./J. K. (Traduit de l'anglais par Martin More) *Professeure au Centre d'études sur le développement à l'Université de Cambridge et à l'Ecole de politique publique de l'UCL, et travaille pour le Département de l'économie de l'Ocde. **Conférencier en santé mondiale à l'Université Queen Mary de Londres.