De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Constantine le malouf, Constantine l'Andalousie. C'est l'appellation perpétuelle que veulent sauvegarder les partisans de cette aria ancrée dans une société depuis des siècles. Ils ont raison de vouloir le protéger, voire de le choyer. Néanmoins, cela supposerait une multitude de préceptes dispensés aux condisciples. Chaque chaîne de transmission dans le savoir de l'art appelle des rudiments, des outils, des méthodes dont n'importe quel novice pourrait se servir pour ne pas affecter l'originalité. En plus, cela aiderait à fortifier davantage la touche incessible qu'est le don. Sur ce plan, la ville du Vieux rocher s'appuie sur ses associations et son conservatoire pour s'accrocher et ne pas lâcher de lest quand au moindre acquis de cette musique ancestrale. C'est la pratique «de l'oreille musicale» qui prime sur les partitions dans le transfert des notes. L'expérience et la pratique continuelle demeurent tous deux le seul garant de la longévité. Les efforts consentis jusque-là n'ont eu d'effet que sur l'écriture des paroles du répertoire. L'orchestration n'a pas encore été transcrite à son comble. Chaque instrument vaque à son intuition, relayée depuis des lustres par des générations qui veillent sur cette lignée d'apprentissage pour le moins payante. Sinon, comment expliquer le nombre important d'instrumentistes et de choristes mélomanes qui récitent par cœur les différents battements de l'Andalousie. Les artistes et les enseignants de la scène locale ne semblent pas préoccupés par une éventuelle collecte musicale écrite. Le malouf «s'auto-rejette» l'imprécision dans l'interprétation. Il est toujours une muse qui guette l'imperfection en chassant la moindre détonation. Par ce concept, cette musique récuse l'infiltration sous quelque forme que ce soit. Et pourtant, on ne cesse de décrier en sourdine parmi les férus de cette tendance «l'égoïsme» affiché par certains maîtres dans leur contribution intégrale en matière d'apprentissage au profit des générations futures. D'un côté, le «tabou» aura été cassé cette semaine par la diva de la nouba, Bheidja Rehal, qui, dans une déclaration récente à nos confrères d'El Watan, avait révélé que «la musique andalouse appartient à toutes les villes». Elle a, de ce fait, balayé du revers de la main son appartenance à une seule frange de la société. Ce qui permettrait à l'avenir proche d'élargir ce chant à d'autres contrées du pays. De l'autre, il reste à persuader les adeptes des autres styles à puiser dans ce terroir. Comment pourrait-on le faire si l'on sait que rares, pour ne pas dire inexistants, ceux qui admettent d'enfreindre ce «répertoire sacré» ? Pour preuve, le Dima jazz, qui a donné une coloration supplémentaire au registre musical local, a tenté une fusion avec l'un des fils du maître incontournable local, Fergani. Cependant, la réplique de certains mordus du malouf s'est fait entendre au-delà de l'Andalousie… «Cette musique ne doit pas subir des altérations. Elle est née ainsi», ne cessent de réagir les sphères musicologues locales. Pourtant, cet avis n'est pas unanime si l'on met en relief la vision d'un enseignant au conservatoire communal Bentobbal, lequel penche pour l'universalité de cette musique. «Ce sera une bonne expérience que d'adapter cette musique pour divers instruments tout en veillant à la préservation de son propre cachet. Elle ne doit pas être gravée uniquement dans son contexte ancestrale» Une suggestion qui n'a pas encore trouvé d'écho. Le malouf semble avoir creusé un fossé profond entre lui et les concepteurs de la fusion ou de l'adaptation. Sur un autre plan, il faut avouer que rares sont les musiciens qui s'adonnent à des recherches pour honorer l'éventuel retranscription de cette musique sans entacher ses notes blanches. Fusion ne rime pas forcément avec «tintamarre», n'en déplaise aux amateurs «assistés par ordinateurs». La musique obéit à ses lois et l'improvisation ne fait pas exception à cette règle sous peine de rendre chaque partition «inexpressive» dénuée de nuance, de tempo, et pleine d'incohérence. Lorsque l'on y touche, il importe de respecter les motifs de base constituant son âme. Si bien que la musique garde toute son originalité tout en acceptant quelques fantaisies et fioritures légères. Les chouyoukhs et leurs disciples ont raison de conserver «ce terreau» andalou à l'abri des bricoleurs modernes, mais il ne le rendra pas pour autant fertile si aucune transcription académique ne se profile désormais à l'horizon, loin des biographies de copinage. Cela conduirait assurément à la possession despotique d'un répertoire «universel». Qui aurait dit que ce dernier était «mono appartenant» ?