De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani L'Algérie avec son immense territoire est un patrimoine grandeur nature, un patrimoine à ciel ouvert qui s'étend sur des millions de kilomètres carrés et dont chaque parcelle raconte «ses histoires». C'est un carrefour de civilisations qui se sont succédé, l'une venant supplanter l'autre pour ensuite céder sa place en léguant sa culture et son savoir. Un effet boule de neige qui a grossi au fil des siècles, des âges et des civilisations pour s'étaler aujourd'hui sous différentes formes, suscitant l'admiration et la curiosité des spécialistes mais aussi des profanes qui s'interrogent sur ses origines. Ce patrimoine a subi les «pires sévices», pillages, vols, destructions et surtout les effets ravageurs d'une ignorance qui assimile les vestiges du passé à de simples ruines sans importance ou aux «restes» d'une occupation barbare qu'il faut faire disparaître. Lors d'une de nos visites sur l'un des sites archéologiques situé à Kheddara (Souk Ahras) à la mechta Koseiba où se dresse une citadelle byzantine avec en contrebas des ruines romaines s'étendant sur près de 4 hectares, nous avions constaté la présence d'une écurie qui y avait été construite et nous avions remarqué que ladite écurie avait été bâtie avec la pierre de taille prise sur le site. Certaines parmi ces pierres portent des inscriptions libyques et puniques. Interrogé, le propriétaire nous avait fait comprendre qu'il avait construit son écurie avec ces pierres parce qu'elles ont traversé des siècles et, donc, elles ne pouvaient être que solides d'où leur utilisation. Cette réponse, qui renseigne bien sur l'ignorance de cet individu, indique aussi qu'il a un certain savoir sur la datation même approximative de ces pierres qu'il a utilisées. Seulement il ne se rend pas compte de la valeur archéologique de ces «pierres» et leur relation avec sa propre histoire et son patrimoine. La responsabilité de ce vandalisme d'inculte incombe à ceux qui sont censés protéger et préserver ces sites, non pas en mettant des gardiens un peu partout mais en faisant prendre conscience à tous que «ces vestiges», ces «ruines», ces «restes» et ces «tas de pierres» sont l'expression concrète de notre histoire commune, de notre civilisation et de notre identité. Une identité mise à mal et malmenée par des tiraillements et des rejets parce que nos repères commencent à s'estomper et deviennent évanescents au fil des ans. Le mois dédié au patrimoine est, certes, une très bonne initiative mais qui reste cependant insuffisante malgré la mobilisation faite autour de ce projet. Parce que limitée dans le temps, cette période ne peut en l'espace de quelques jours sensibiliser la majorité des Algériens sur la nécessité de protéger tout ce qui relève de notre culture et de notre patrimoine. L'Etat omniprésent et disposant de gros moyens a classé certains sites et monuments comme patrimoine national qui jouissent désormais d'une protection tout en bénéficiant d'opérations de restauration totalement prises en charge par les pouvoirs publics. A Annaba, le site de l'antique Hippone, la basilique Saint-Augustin, la mosquée Abou Merouane, la mosquée Sidi Brahim Ettoumi et la citadelle hafside ont toutes été classées comme monuments relevant du patrimoine national. La vieille ville avec ses maisons qui datent, pour certaines d'entre elles du XVe siècle bénéficiera elle aussi de ce statut et sera désormais un site protégé. Il y est prévu des travaux de restauration qui seront exécutés par des spécialistes. A Souk Ahras, l'antique Madaure, qui a vu naître et grandir Saint Augustin, et Khemissa (Thubursicum Numidarum) avec son théâtre romain, ont été classés et bénéficient d'une attention toute particulière. Ces deux sites ne désemplissent pas et sont souvent visités par des touristes qui se déplacent des quatre coins du monde pour marcher sur les traces du saint homme. Avec tout ce que recèle l'Algérie comme richesse culturelle s'exprimant sous différentes formes, qu'elles soient matérielles ou immatérielles, et avec ce qu'a subi notre patrimoine comme maltraitance, n'est-il pas temps d'organiser des assises nationales sur cette dimension essentielle de notre identité ?