S'il est peu commun de déclarer, aujourd'hui plus qu'avant, que les journalistes et les travailleurs de la presse vivent une situation lamentable, contrairement aux idées reçues qui les affublent à tort de «quatrième pouvoir», l'on peut tout aussi affirmer, sans risque de se tromper, qu'au milieu de cette grisaille ambiante, où le journaliste citoyen perd les droits les plus élémentaires, quelques frémissements sont venus remettre en cause les clichés et l'ordre préétabli. Des lueurs d'espoir, mais beaucoup reste à faire. Dans un passé récent, et l'on peut même présumer que ce n'est pas encore fini, nombreux étaient les éditeurs qui agissaient en porte-à-faux avec la réglementation en vigueur -du travail s'entend- en embauchant des salariés sans contrat de travail, ou avec des contrats «bidon», qui ne répondent pas exigences définies par la loi 90/11 relative à la réglementation du travail en vigueur. Dans ce régime au noir, les employés ne sont déclarés ni à la sécurité sociale ni à la caisse des retraites. Ils ne peuvent prétendre ni au remboursement des frais médicaux ni à une retraite. C'est comme si on leur signifiait qu'il leur est interdit d'être malade. Combien de journalistes et assimilés ont découvert un beau jour, par pur hasard, en s'adressant à la caisse de sécurité sociale, qu'ils n'y étaient pas affiliés, en raison du non versement, par leurs employeurs des cotisations y afférentes. «Inconnu au bataillon», leur assène-t-on. Il n'est un secret pour personne que les entreprises de presse ayant pignon sur rue emploient des journalistes en qualité de pigistes ou stagiaires, ou encore au cachet pour les radios. Un titre selon lequel les intéressés n'ouvrent même pas droit à une fiche de paie, puisqu'ils sont payés en espèces sous enveloppe. Car, contrairement aux idées reçues, à cette situation sur laquelle sont portés les regards, et dont le secteur privé ne détient pas l'apanage, même le public s'y met de son côté. L'exemple le plus édifiant est sans conteste celui soulevé par les travailleurs d'une radio locale, lesquels payés au cachet, depuis plusieurs années, ont protesté il y a quelques mois. Dans une déclaration rendue publique, ils se disent très inquiets de l'ambiguïté de leur situation socioprofessionnelle. «La majorité des employés du service ont un statut de cachetier [payés au cachet]. On nous considère toujours comme des collaborateurs, alors que nous travaillons au même titre que les permanents et nous effectuons une grande masse de travail», affirme-t-on dans ce communiqué. Le statut de cachetier, expliquent ces employés, ne leur permet pas de progresser au plan professionnel. Si les promesses de régler cette situation ont été tenues, ce déni de droit a continué d'exister pour d'autres sous différentes formes (sous déclaration ou fausse déclaration, par exemple). Dans ce chapitre, la situation n'est guère reluisante. A méditer ces cas de journalistes recrutés à titre de «stagiaires» et qui sont remerciés avec la mention «stage non concluant» au bout de plusieurs mois, durant lesquels ils étaient sous-payés et non déclarés à la caisse d'assurances sociales. Quant aux conditions de travail des employés de la presse, en parler équivaudrait à ouvrir la boîte de Pandore. Tout y est : exiguïté des locaux, manque d'hygiène… Parqués dans une maison de la presse que l'on ne s'empêcherait pas de comparer à un «ghetto», la majorité des entreprises de presse manquent de l'essentiel, soit d'un espace vital nécessaire au travail, quant aux espaces de culture (bibliothèques ou salles de lecture…) cela relève de l'irréel. Pas de lieu de détente, de repos, ni de sanitaires convenables. Le problème du stationnement est devenu un véritable parcours du combattant devant l'étroitesse des lieux, cela pour compliquer davantage le vécu d'une corporation déjà en proie à toutes sortes d'aléas sociaux –heureusement, serions-nous tentés de dire, comparés à l'insécurité-, à commencer par les problèmes de cherté de la vie et de la baisse du pouvoir d'achat en rapport avec l'inflation rampante, dont personne n'est épargné. Cela qui s'ajoute au sempiternel problème du logement, qui marque de son sceau une corporation qui a aussi ses sans domicile fixe et ses nomades. Que de personnels de la corporation ont été contraints de passer les nuits entières dans les lieux de travail, et d'autres de changer constamment de domicile pour échapper à la mort. Même avec le retour de la paix, les résidences El Manar et les Sables d'or, où ont élu domicile de nombreux confrères, demeurent encore témoins de la précarité sociale de la profession. Quelle parade aujourd'hui face à une situation aussi délétère ? Devant une profession désorganisée, divisée, les travailleurs de la presse (journalistes et assimilés), ont ce sentiment d'être livrés à eux-mêmes, et à certains employeurs peu enclins au respect des lois. Pour preuve, peu d'entreprises possèdent un plan de carrière pour leurs employés, encore moins de convention collective codifiant les relations employés-employeurs. Cela va de soi encore de parler de règlement intérieur, un document élaboré d'un commun accord. Le cri d'alarme, lancé sous forme d'une bouteille à la mer, a certainement été entendu quelque part. L'année 2009 a été porteuse d'espoir. Parce que, comme on le soulignait plus haut, tout n'est pas noir dans cette corporation, qui enregistre des améliorations dans la prise en charge de ces éléments. Avec le lancement de nouveaux titres offrant de meilleures conditions matérielles, qui rivalisent avec les situations les plus avantageuses existantes, qui ont progressé davantage, nombre d'employés des médias ont vu leurs salaires révisés à la hausse. Cela vient se greffer à la volonté politique de sauver une corporation en péril qui s'est matérialisée par des visites inopinées des services de la CNAS et des impôts, n'ayant épargné ni entreprises étatiques ni privées, obligeant les éditeurs à déclarer leurs employés, à défaut de subir des redressement fiscaux, pour ceux qui continuent d'enfreindre les lois. D'un autre côté, elle s'est également déclinée, par l'annonce encore au stade d'intention de doter les journalistes d'un statut qui, se basant sur l'article 4 de la loi 90-11 portant définition des relations de travail, offre aux journalistes un cadre légal leur permettant de bénéficier des droits élémentaires. Ce statut est censé définir les droits et devoirs des journalistes sous la forme d'un contrat de travail, même s'il est loin de répondre à la totalité des préoccupations socioprofessionnelles des journalistes, qui demeurent encore légion, en l'absence de garanties pouvant contraindre les employeurs à se conformer aux dispositions légales. Car, tout le problème est dans l'application des lois, comme le disent si bien les juristes. En attendant, bonne fête ! A. R.