Photo : Riad Par Wafia Sifouane Après les pièces données depuis le début de la compétition officielle du 4ème Festival national du théâtre professionnel (FNTP), baptisé «Edition El Qods», qui se sont distinguées par leur médiocrité, le public a pu enfin se délecter d'un spectacle théâtral digne de ce nom vendredi soir au Théâtre national algérien (TNA). En effet, une bouffée d'air frais a soufflé sur le TNA, donnant ainsi à la compétition du sel, et cela grâce à Qadi e'dhel (le juge de l'ombre) du Théâtre régional de Batna. Le rideau se lève, la musique résonne. Mais la scène est vide. On a levé le rideau et lancé la musique avant que les comédiens ne montent sur la scène. Pis, les portes d'accès à la salle sont maintenues ouvertes par les gardiens qui d'habitude sont là pour justement s'assurer de leur fermeture. On ne peut s'empêcher de croire que c'est là des manœuvres mesquines visant à déstabiliser la troupe de Batna. Le rideau retombe pour se relever au moment voulu. Derrière un large voile blanc au fond de la scène, on aperçoit des formes humaines en train d'exécuter une danse avec des gestes saccadés. Tout s'arrête à l'arrivée d'un homme tout de blanc vêtu qui effectue une entrée majestueuse. Il est perdu, c'est d'ailleurs le nom de son personnage. Il ne sait ni d'où il vient ni où il va aller. Assis dans son coin, Qadi e'dhel sympathise avec lui. Qadi e'dhel est un personnage équivoque, entre charlatan et magicien. Il est doté de pouvoirs surnaturels. Il peut figer les gens et vend le rire au souk. Les deux hommes observent les commerçants et commerçantes. Tous des tricheurs, du vendeur de vin à la vendeuse de chaussettes. Le sultan arrive en compagnie de son homme de confiance pour effectuer sa visite quotidienne et lever l'impôt. Le Perdu se perd encore plus dans ce coin où il a atterri, lui qui ne connaît pas son chemin. Le jeu des comédiens est quasi parfait, avec une maîtrise admirable des caractères de leurs personnages. Ils ne tarderont pas à captiver le public charmé. La pièce se pimente avec l'entrée de trois mendiants aveugles. Portant lunettes noires et s'aidant d'une canne, ils font le tour du marché. Ils chantent en chœur en faisant la manche. Les trois personnages, cupides et opportunistes, font rire. Changement de décor, des gens sont alignés devant le juge pour de petits différends. Une femme se plaint de son époux qui ne veut pas utiliser de moyens de contraception, deux sœurs siamoises se disputent un grain de beauté, un homme déclare qu'il s'est fait arnaquer… Le juge habile résout très vite leurs problèmes. A cet instant, les choses se corsent au marché, les vendeurs se sont révoltés et ont décidé de créer un nouveau gouvernement pour préserver leurs droits. La scène est caricaturale, les candidats défilent sur une table transformée en estrade pour présenter leurs programmes électoraux. Il y a la syndicaliste, l'islamiste et le serviteur du «système digestif». Devant une telle mascarade, le Perdu et le juge observent silencieusement. Une idée germe dans la tête du juge qui demande à son ami de circonstance de l'aider à débarrasser la société de ses excès de langues. Mais le Perdu refuse. Se rappelant ses vies antérieures, il retourne à Paris pour un tango endiablé. «Je ne sais pas d'où je viens mais je me sens Argentin», dira-t-il. La pièce est fragmentée, les sujets abordés sont aussi variés que les problèmes, les difficultés et les situations parfois burlesques que vit la société. L'auteur de la pièce, Abdellatif Laabi, a opté pour le rire, une manière ironique de décrire la société, ses travers et ses dérives. Mise en scène par Hacene Boubrioua, Qadi e'dhel a enchanté le public qui avait soif de pièces de qualité. Scénographie en parfaite harmonie avec le texte, costumes en totale adéquation et, surtout, véritable professionnalisme des comédiens font de cette pièce une œuvre de haute facture qui a fait monter la barre de la compétitivité plus haut.