Photo : S. Zoheir De notre correspondant à Constantine A. Lemili Un parc de douze cimetières, c'est ce que gère l'Etablissement public communal de gestion des pompes funèbres de la commune de Constantine. Sur cette douzaine de cimetières, ledit établissement ferme un peu les yeux sur la gestion de l'un d'eux et préfère le laisser aux membres de la communauté concernée. C'est celui… mozabite. Très franchement, au vu des moyens dont dispose l'EPCGFP et des mesures sérieuses, s'entend, pour entretenir d'une manière effective de tels espaces, il semble des plus logiques que la communauté mozabite s'occupe du sien. M. Ghomrani L., directeur dudit établissement, qui, sous la coupe d'un conseil d'administration constituée de trois élus, dispose pour l'année 2009 d'un budget de 7 690 000 dinars, doit faire preuve de génie pour arriver à boucler les fins de mois. Il est arrivé à obtenir d'autres sources de financement, du moins celle d'un redéploiement des activités de l'établissement qui, au-delà de fournir la prestation de base obligatoire qui est de mettre à la disposition des demandeurs, le cas échéant, une tombe à usage immédiat, est également parvenu à accompagner celle-ci (prestation) d'autres supplémentaires comme l'aménagement de la sépulture a posteriori. Sur ce chapitre, les comptes du premier trimestre ont laissé apparaître une recette de 2 400 000 DA. Ce qui n'est pas négligeable, d'autant plus qu'il existe aussi des mécènes qui souvent y vont d'une contribution conséquente s'ils ne prennent pas en charge directement certains travaux sur les sites comme le désherbage, l'entretien, la peinture, etc. Nonobstant la hauteur de ces financements dont, a priori, il serait arbitraire de dire que c'est peu ou beaucoup, l'état général du cimetière central est critique. Hormis les allées principales qui s'ouvrent sur l'entrée, s'engager en profondeur dans le cimetière équivaut à pénétrer dans une véritable jungle compte tenu de la broussaille, des herbes sauvages, des branchages et, enfin, des détritus de tous genres. Le directeur de l'établissement développe, à sa décharge, l'argumentaire suivant : «Avec le budget que nous avons évoqué, il relève de la gageure de croire que nous pouvons procéder à l'entretien intégral des lieux», ajoutant : «Le public ne nous facilite pas la tâche, les visiteurs en rajoutent au désordre et surtout à la saleté des lieux en laissant à l'issue de leurs visites sachets en plastique, bouteilles, papiers. Or, si seulement chaque famille nettoyait le carré de la sépulture visitée, le cimetière serait dans un état impeccable.» Effectivement. Le cimetière central doit dater au moins du début du siècle. Paradoxalement et là notre interlocuteur est si direct que nous en sommes désarçonné : «Il n'existe aucune archive de ce cimetière. Nous n'avons donc pas l'information sur son… âge. En tout état de cause, il doit avoir plus de cent vingt ans.» M. Ghomrani gère donc onze autres cimetières qui sont : Gammas, Salah Bey, Aïn El Bey, Chettaba, caveau de l'ouléma Benbadis, Central, Chouhada, Sidi M'cid, Djebel Ouahch, israélite, chrétien et affirme sans ambages et non sans gravité que «si le cimetière israélite est dans un état lamentable, il le restera en ce sens que les juifs ne méritent pas qu'on leur accorde de la considération». Notre interlocuteur semblant oublier superbement qu'il s'agit de la préservation de sépulture de personnes aujourd'hui disparues et qu'aucun autre préjugé ne devrait les différencier du reste des morts. Seules les autorités consulaires françaises veillent sur leur cimetière Effectivement, le cimetière israélite est livré à lui-même et la conservatrice aidé de son fils essaie autant que faire se peut de l'entretenir quoiqu'il reste géré à distance par la synagogue de Tournelles dont des émissaires viennent souvent à Constantine pour constater de visu la situation et faire prendre, le cas échéant, en charge par une entreprise des travaux d'aménagement comme cela a été le cas pour un mur de soutènement, une clôture afin de mettre fin aux invasions des riverains qui y entrent soit pour des raisons de pillage, soit pour s'adonner à des beuveries et autres actes délictueux. Mme Lecheheub Nouara, une ancienne fonctionnaire de l'APC, a remplacé, à son décès, son époux qui y assurait le gardiennage depuis 1956. La synagogue lui verse des émoluments à hauteur de 1 440 euros par année. Ce qui, également, peut paraître peu ou beaucoup selon le fait qu'elle bénéficie d'un logement sur place et fait office plutôt de gardienne au peu d'ouvrage qu'autre chose. Elle nous dira que la seule fois où les pouvoirs publics se sont intéressés à l'endroit concerné remontait à l'annonce de «la venue du chanteur franco-juif Enrico Macias. Là, c'est extraordinaire, il y avait un véritable carrousel de personnalités qui habitaient littéralement les lieux, chacune d'elles s'évertuant à me questionner et me demander ce qu'il y avait lieu de faire pour restituer aux lieux une apparence digne. Puis, quand le projet est tombé à l'eau… plus rien. Pis, M. H [élu MSP, vice-président et président du CA de l'EPCGPF] est venu un jour accompagné de trois camions, il a procédé au déménagement de tonnes de marbre, des ouvrages en fer forgé et est parti. Il venait tout simplement de piller le cimetière avec la complicité d'un autre cadre de l'APC…M. G.». Le cimetière israélite est implanté sur une superficie de 15 hectares et est régulièrement visité par des familles de personnes qui y sont également enterrées. Il semblerait qu'il soit l'un des plus anciens sur place et témoigne avec ceux musulmans épars sur le reste du territoire de la région d'une présence des juifs qui remonte à très loin dans la mesure où sur l'épitaphe d'une sépulture est écrit «décédé en 1810», donc bien avant l'entreprise de colonisation du pays. Celui français est dans un état nettement plus avenant : absence d'herbes folles, allées dégagées, sépultures visibles et relativement entretenues, excepté celles qui ont été l'objet d'actes de vandalisme dont le gardien nous expliquera les raisons par les velléités de personnes qui lui sont hostiles et dont le dessein est d'inciter les responsables à hauteur du consulat de France de mettre fin à ses fonctions. L'enjeu : «Le logement mitoyen au cimetière que j'occupe depuis 1964.» Il n'en demeure pas moins que Med Bekkara semble maîtriser l'activité dont il est chargé et nous apprendrons qu'il avait fait ses classes d'abord dans d'autres services de l'APC avant d'être versé dans cette nouvelle fonction. Ce qui explique d'ailleurs sa parfaite connaissance de la réglementation et des procédures. Au moment où nous le rencontrons, avec des personnes ès qualités, il venait de terminer l'exhumation du corps de Panzana Elvyre qui devait être rapatrié dans son pays d'origine, «Des exhumations, nous en avions jusqu'à une quinzaine par jour, il y a une quarantaine d'années, ce n'est plus le cas aujourd'hui sachant que même en France les concessions sont devenues difficiles à obtenir en raison de la rareté des parcelles. Ceux qui exhument sont ceux qui sont depuis longtemps sur une liste d'attente et qui viennent d'obtenir une concession.» L'aspect impeccable des lieux tranche fortement avec les cimetières musulman et israélite par sa propreté surtout et l'alignement rectiligne sinon très ordonné des sépultures et notre interlocuteur de nous l'expliquer par «les inspections quasi régulières de fonctionnaires consulaires». Les représentants français se contentant visiblement très peu des assurances d'entretien et de préservation sur lesquelles s'engage l'administration algérienne et qui ne sont exécutées, si tant est qu'elles le soient, qu'avec dilettantisme malgré l'existence d'une convention liant les deux parties et les engageant entre droits et obligations. Nous ne saurons pas la consistance financière de cette convention sur laquelle L. Ghomrani, le directeur de l'établissement des pompes funèbres, ne se montre pas disert, préférant évoquer «l'aspect discrétionnaire» de ladite convention. Sur près de 20 hectares, le cimetière chrétien abrite 7 553 sépultures, dont un peu plus de deux cents de militaires et 73 israélites naturalisés français. Il a été rogné, au lendemain de l'indépendance, et avant son aménagement (réalisation d'une ceinture murale), en ses parties sud par l'administration locale qui y a fait réaliser un établissement scolaire et une fabrique communale de ciment. Là également, le conservateur est continuellement confronté au franchissement du mur par des délinquants qui y trouvent matière à vol évidemment et surtout à d'autres pratiques interlopes : beuverie, actes homosexuels, drogue. Les lieux, en raison de leur excentration urbaine d'abord et du cadre champêtre, en rajoutant à leur nirvana. Le cimetière, havre de paix, a vécu Quoi qu'il en soit, les cimetières ne constituent plus cet endroit sacré auquel nul n'oserait porter atteinte, y pénétrant uniquement pour rendre visite à ceux parmi les siens qui y reposent. Ce sont devenus en fait des espaces qu'on jurerait protégés par une sorte d'extraterritorialité que les représentants de l'autorité n'enfreignent pas par leur présence ou leur intervention quel que soit l'événement qui s'y déroulerait. D'où cette sorte d'impunité sur laquelle sont «rassurés» les marginaux. A telle enseigne qu'il y a de cela quelques années un groupe de personnes était même parvenu à y installer une casemate abritant libations, actes sexuels et forcément abri pour dormir, voire y résider. A l'unanimité, les visiteurs constituent la plus grande cause de la détérioration des lieux. Selon les gardiens, fossoyeurs et aussi le directeur de l'EPCGPF, «les femmes rendent visite à leur mort, chargées de babioles de tout genre dont elles se délestent une fois sur place, créant autour de la tombe visitée un véritable capharnaüm. Les enfants qui les accompagnent portent, en ce qui les concerne, atteinte aux arbres et parfois aux sépultures voisines. Ce sont des attitudes contre lesquelles il nous est difficile de lutter. La sensibilisation ayant peu de chances d'aboutir». Il est vrai qu'il serait finalement arbitraire de faire un quelconque reproche à tout ce monde qui veille à l'entretien du cimetière musulman compte tenu de son immensité, d'une part, et d'une continuelle activité hebdomadaire en ce sens que l'aspect relativement clean des cimetières israélite et chrétien ne l'est que parce qu'ils n'accueillent plus d'enterrements contrairement au reste des autres cimetières de la ville où «il ne se passe pas un seul jour au cours duquel il n'y ait pas d'inhumation… au moins une». Ces circonstances n'absolvent pas toutefois l'administration locale et plus particulièrement communale qui doit mettre les moyens conséquents pour assurer des sépultures dans de bonnes conditions comme elle doit le faire pour que l'activité de ses agents soit moins contraignante. Mais assurer également de bonnes conditions de travail ne veut pas dire ne pas faire preuve de vigilance sur le comportement douteux de certains parmi les agents qui monnayent, c'est de notoriété publique, une prestation publique avec malheureusement la complicité passive d'un ou des membres de la famille concernée par le deuil. Et là également les circonstances sont particulières. Cela étant, il semblerait que s'agissant des profanations, ceux qui les commettent s'attaquent rarement à celles de leurs compatriotes éteints. Une telle retenue n'est pas de mise dès lors qu'il s'agit de sépultures étrangères (juifs, chrétiens) en ce sens que «les profanateurs partent du principe que les familles évoquées enterrent leurs morts avec leurs bijoux ou des objets chers».