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Une démarche pour l'unité du Monde arabe n'a jamais été entreprise…
60e anniversaire de la Nakba
Publié dans La Tribune le 15 - 05 - 2008

Der Indenstaat est un ouvrage du Magyar Theodor Herzl qui expose sa conception du sionisme en même temps qu'il propose un Etat qui permette aux «Juifs de retrouver leur dignité et leur sécurité».
En bon philosophe-écrivain, ce Hongrois d'origine n'a pas oublié son autre «religion» et n'a pas hésité à ressusciter ce vieux rêve que caressent tous les Juifs : «réaliser la promesse biblique du Grand Israël et dont l'étendue dépendrait de la fortune des armes».
Cela commence à se concrétiser en 1897 à Bâle lorsque se réunit le premier congrès sioniste qui crée la Banque et le Fonds national juifs pour l'achat des terres en Palestine, c'est-à-dire pour préparer la colonisation de peuplement et dont les bénéficiaires, les plus privilégiés, seront les Ashkénazes, les Juifs d'Europe qui, plus tard, auront quelque peu d'aversion à l'égard des Séfarades, les Juifs du Moyen-Orient.
Le projet de Herzl fait son chemin et, en 1916, la France et la Grande-Bretagne convoitent la Palestine et posent le principe de son internationalisation par les accords Sykes-Picot, après avoir étudié la situation au Moyen-Orient et convenu qu'«elle était dangereuse», car pouvant changer les rapports de force dans la région. La solution ? Eh bien, rien de mieux que de créer un pseudo-Etat dans cette partie du monde. Ainsi, et dans la même foulée, la déclaration de Balfour intervient une année après, en 1917, et est «pertinente» car elle met à nu les visées expansionnistes de l'Europe. C'est alors que le 2 novembre de la même année, les Anglais prennent un engagement à l'égard du mouvement sioniste et prévoient un foyer national pour le peuple juif qui, dans «un aboutissement logique», deviendra, plus tard, cet Etat d'Israël.
Arthur James Balfour, secrétaire au Foreign Office, communique à Lord Walter Rothschild, vice-président du Board of deputies of British Jews, la décision de l'Etat britannique : «Le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de ce projet…» Il est évident que le reste, c'est-à-dire les timides garanties que donne cet engagement aux autres communautés vivant en Palestine, n'est que du bavardage qu'on utilise généralement dans de telles circonstances pareilles pour essayer de convaincre, mais en réalité pour jeter de la poudre aux yeux.
Clin d'œil historique
Janvier 1919, l'Europe décide le morcellement du Moyen-Orient en provinces administrées selon le système mandataire. La Syrie, le Liban, la Palestine et l'Irak ont chacun un tuteur et la Conférence de San Remo, qui s'est tenue en avril 1920, donne des droits à la Grande-Bretagne pour administrer la Palestine. Les Arabes organisent la résistance contre ces poussées expansionnistes, la première, à partir de cette date, avril 1920, et une autre en mai 1921. Ces deux dates ont connu de grands soulèvements de populations, mais surtout une sérieuse prise de conscience des nationalistes.
Ainsi, le Mouvement national palestinien s'organise autour du Comité exécutif arabe en 1920. Il est relayé par le Conseil musulman de Palestine en 1921-1922, ensuite par le Haut Comité exécutif arabe en 1936. Le Mouvement national palestinien se divise en deux tendances, l'une intransigeante vis-à-vis des colons juifs et de ceux qui les soutiennent, l'autre modérée et qui active tant bien que mal jusqu'en 1937 dateoù elle est obligée de ralentir son ardeur et son dynamisme parce qu'elle se trouve en face de milliers de morts parmi les civils palestiniens et confrontée à la dure et triste répression durant laquelle, pratiquement, tous les chefs sont emprisonnés. En somme, une anticipation sur le génocide du 8 mai 1945, chez nous, en Algérie…
Les Anglais, quant à eux, publient, en mai 1939, après avoir été responsables de tant de dégâts dans cette région qui devenait de plus en plus chaude et qui faisait l'objet de toutes les convoitises, «le Livre blanc» dans le seul but d'amadouer les Arabes. Cela suscite, bien entendu, de vives réactions dans les rangs de sionistes qui, par mépris, accentuent l'immigration en Palestine et menacent les partisans du régime britannique, par le biais de l'«Irgoun» et du «Groupe Stern», deux dangereuses formations terroristes, de passer aux actes… «concrets».
Après 1945, les sionistes redoublent d'insistance auprès de la Grande-Bretagne pour l'application du programme du Biltmore, programme qui date de 1942, et exigent la création immédiate de l'Etat d'Israël. Mais peu avant cette demande expresse, les «sponsors anglais et américains» proposent, en novembre 1945, au nom du comité qu'ils créent entre eux, la venue d'encore 100 000 Juifs en Palestine qui s'ajoutent aux 450 000 qui sont déjà arrivés, avant cette date et plus exactement depuis 1919.
Le plan de colonisation est arrivé à sa phase finale. Seulement, les Arabes sont puissants dans la région, puissants évidemment par leurs ressources naturelles et leur histoire, ce qui n'est pas dédaignable pour un pays, mais ils ne sont pas forts, par ailleurs, de leur unité n'ayant jamais existé… Et c'est leur talon d'Achille ! L'Europe sait tout cela, et elle en profite pour les diviser davantage. Elle crée un foyer de tension chez eux, et mieux, elle place un «gendarme» qui puisse les surveiller constamment, réguler le processus de développement et du déploiement du colonialisme et garantir les intérêts des grandes puissances qui, tôt ou tard, doivent contrôler le monde. Dans cette ambiance, Lénine et sa révolution bolchevique «comptent pour des prunes», car, avant lui, le régime des tsars était bien complaisant, mieux, il était d'accord pour ce partage du Moyen-Orient.
1947, la question est sur le bureau de l'ONU. L'Assemblée générale décide la création d'une Commission spéciale qu'elle appelle l'UNSCOP. Un plan de partage proposé par la majorité des membres est adopté le 27 novembre 1947. Les États arabes rejettent ce plan et entrent en conflit armé avec les Juifs. Le 14 mai 1948, la région s'embrase en une véritable guerre contre un «indu-occupant» aidé, soutenu et officialisé sur les lieux par les grandes puissances ainsi que par la plus haute instance du monde. Cette dernière date représente effectivement l'affront que fait le monde aux Arabes en général et aux Palestiniens, en particulier, par la création du nouvel «Etat d'Israël». Viennent ensuite les exactions, les massacres en série, les dépossessions de terres et de biens. C'est l'apocalypse, c'est véritablement l'extermination des Palestiniens…, un véritable holocauste avec l'approbation des «grands» de ce monde. Deïr Yassine, Kafr Qassem et d'autres contrées en Palestine sont le théâtre d'actes odieux de barbarie et de sauvagerie qui n'honorent pas leurs organisateurs et leurs commanditaires. Cela rappelle forcément les massacres qui ont été perpétrés en Algérie, du temps de la colonisation. Franchement, peut-on oublier ces têtes et ces corps mutilés exposés à Alger, à la rue Bab Azzoun, peut-on oublier les «enfumades» de populations entières dans des grottes, peut-on passer sous silence les carnages des maréchaux Saint-Arnaud, Randon, Vallée, des généraux Bugeaud, Rovigo, et plus tard ceux des généraux Massu, Challe et Bigeard ? Le peuple palestinien doit déménager, parce que «d'autres locataires» affluent de partout et il faut de l'espace, cet espace qu'ils doivent spolier au vu et au su de tout le monde, y compris des instances internationales. C'est l'exode des Palestiniens. Et que peuvent-ils faire quand on les force à partir, dans un contexte où ils se trouvent affaiblis par la désunion des Arabes –mais leur unité a-t-elle existé au moins un jour ?– et par cette coalition forte du Monde occidental ? Entre-temps, et malgré cette inconsistance de l'environnement immédiat, le Mouvement national palestinien prend de sérieuses proportions du fait de cette nouvelle situation qui s'impose à la région. Le Monde arabe bouge, ou essaye de bouger, et les différentes formations s'organisent pour l'avènement d'un Etat palestinien indépendant. C'est une guerre de libération qui prend forme dans les territoires occupés, confortée par l'entrée dans la bataille de tous ces jeunes de la région et même du Maghreb, notamment des Algériens, eux-mêmes spoliés et qui voient en cette lutte l'avenir et l'unité du Monde arabe.
Malheureusement, cette dynamique connaît une éclipse à partir de 1950, à cause d'un manque de soutien et, il faut le dire, à cause de l'excès de slogans, pompeux mais vides, à cause du travail irrationnel et de la vision étriquée de ce panislamisme et de ce panarabisme, deux grandes options qui ne peuvent se réaliser dans l'empirisme et l'utopie, par lesquels le Monde arabe, malheureusement, appréhende ses problèmes.
Dans le même temps, l'Etat d'Israël se renforce de 650 000 immigrants qui viennent des pays arabes limitrophes et du Maghreb. Il prend de l'ampleur pendant que les Arabes déclinent. Les Juifs continuent à faire des placements en achetant des terres chez les citoyens qui sont souvent contraints et forcés de céder leurs biens pour des sommes dérisoires, comme il est de notoriété –et il ne faut pas s'en cacher– que d'autres citoyens plus nantis, pris dans l'euphorie des nuits bachiques, ont pratiquement offert à leurs «compagnons de vin» des superficies appréciables. Même là, dans cette partie du Monde arabe, il y a eu des «harkis».
Ce n'est qu'à partir de 1958 que l'Égypte et l'Irak essayent d'organiser convenablement le mouvement de lutte et de réactiver la «Question palestinienne». En 1960, l'Égypte aide les Palestiniens à se doter d'un organe : «l'Union nationale palestinienne». Mais ce n'est que plus tard, en 1964, que l'OLP est créée. Chouqaïri devient le premier responsable de cette Organisation de libération de la Palestine. Trois ans après, il laisse la place à Yasser Arafat, suite à l'indigeste défaite des Arabes de 1967. Ainsi, de campagne en campagne, de victoire militaire (El Karameh) en victoires politiques (les reconnaissances de plusieurs pays de la lutte légitime du peuple palestinien), et de déception en déception (rappelons-nous ce sinistre «septembre noir» et ces massacres de Sabra et Chatila), les Palestiniens mènent tambour battant leur résistance, aidés par les plus engagés et repoussés par les «inféodés», parmi les Arabes, qui entament leur crédit et atténuent ce mouvement très prometteur. Une lueur d'espoir, néanmoins, brille dans le ciel de ce monde qui, dix ans après l'inoubliable défaite, ou «la honte», comme l'appellent certains militants, le groupe des durs, parmi les chefs d'Etat arabes, crée, en décembre 1977, le «Front de la résistance et de la fermeté». Cependant, tout de suite après, un clivage se crée à ce niveau. Tous ne voient pas de la même manière la participation
à la libération de ce territoire et des autres territoires occupés, ou ceux conquis par Israël lors de la guerre de 1967, le Golan et une partie de la Cisjordanie.
A cette division mal venue s'ajoute un autre malheur, l'invasion du Liban-Sud en mars 1978, résultat des contradictions et de la dispersion des forces et des moyens de ce Monde arabe qui n'a pas su justement utiliser ces deux facteurs au service de son émancipation et de sa libération du joug impérialo-sioniste. Le tout est «couronné» dans la même année, en septembre, par les «accords de Camp David» et, plus tard, en 1982, par la guerre du Liban et les tensions palestino-arabes qui provoquent une grave division au sein de l'OLP et du Fatah.
Tous les ingrédients sont réunis pour que les Palestiniens comprennent, une fois pour toutes, qu'ils doivent compter sur leurs propres forces et sur les quelques pays arabes, lesquels n'ont jamais su reculer devant le danger que leur cause une «position aussi téméraire» que celle qui prône la résistance, jusqu'à la libération de tous les territoires occupés…
Lutte permanente
Arrêtons-nous là dans le défilement des faits chronologiques car, aujourd'hui, c'est une autre forme de lutte qui prend le dessus. C'est une lutte plus concrète chez le peuple palestinien qui connaît, mieux que n'importe qui, les douleurs d'une occupation sauvage comme celle des sionistes d'Israël. C'est l'Intifadha», ce sont «les enfants de la pierre» qui défient les chars et les grandes stratégies, c'est le peuple qui crie partout sa colère, à Ghaza, à Ramallah, à El Qods, comme ceux de Belcourt, du Hamma, de la Casbah, d'El Madania à Alger et partout dans les villes d'Algérie à partir du 11 décembre 1960. Aujourd'hui, les jeunes savent, surtout après le martyre d'Abou Djihad, d'Abou Ayad et des milliers d'autres, malgré l'avènement de l'Etat palestinien, malgré les accords de paix intervenus entre les Palestiniens et les Israéliens après les négociations d'Oslo, ce que veut dire le slogan écrit d'une façon ostentatoire et non moins provocante à l'entrée de la Knesset : «La terre d'Israël s'étend de l'Euphrate au Nil.» Ils savent que ce n'est pas une simple menace, ils savent que c'est un danger permanent si les Israéliens ne reviennent pas à de meilleurs sentiments, mais surtout à la réalité historique que tout le monde connaît. En effet, les jeunes savent que c'est de la xénophobie doublée d'un délire mégalomane qui pousse Israël à considérer les autres communautés non juives, comme des étrangers, et à créer ensuite cet «empire» bien développé et bien structuré dans la région du Moyen-Orient.
Nous sommes tous concernés, ou plutôt nous sommes tous menacés par ce danger, car Israël, nous voyant plus timides dans nos positions à son égard, redouble d'efforts et concrétise avec ses sponsors de toujours son projet à travers les grandes mutations économiques.
Les deux congrès, celui de Madrid, pour les questions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, et celui de Doha, tenu sous les auspices des Américains, ne sont-il pas plus que révélateurs d'une «nouvelle situation» qui se prépare et qui doit s'appliquer, comme d'habitude, pour tous les Arabes de la région ? Israël est délégataire des Américains. Que l'on soit clairement convaincu. Pour cela, il faut qu'elle représente «dignement» leur pouvoir et leur suprématie et préserve leurs intérêts et les siens –et ils sont nombreux– à commencer par le pétrole… des Arabes ? Israël sait que les Arabes sont présentement très faibles, contrairement aux apparences. Elle sait pertinemment que toutes leurs déclarations ne peuvent l'inquiéter tant qu'ils ne se sont pas mis d'accord, jusqu'à maintenant, sur le minimum. Et pourtant, ce n'est pas l'Europe qui, n'ayant pas ce qu'ils ont, est parvenue, par la sagacité de ses dirigeants et leur sérieux, à créer les conditions objectives pour s'unifier alors que ses pays ont peu de choses en commun, à l'intérieur de ses frontières. Les Arabes ont plus que ce que n'a l'Europe. Ils ont tout, et tout milite pour une bonne entente, en principe, tout milite pour cette renaissance ou cette résurrection, c'est selon, afin qu'ils sortent de leur carcan pour vaquer à l'émancipation de leurs régions car, ce qu'il faut savoir, c'est qu'ils (les Arabes) n'ont jamais été «des destructeurs systématiques de civilisations», bien au contraire, affirme Roger Garaudy, «leur civilisation, pendant un millénaire, a fécondé le passé et préparé l'avenir». Malheureusement, que voyons-nous aujourd'hui, soixante ans après l'instauration de l'Etat d'Israël ? La réponse ne peut être évidemment l'alibi à partir duquel chacun de nous, en affirmant de manière péremptoire ses bonnes intentions, essaye de se disculper d'un mal ou d'une faute dont il a été le seul responsable. Il faut le clamer haut et fort : nous ne sommes pas capables de nous unir, malgré les bonnes dispositions qui existent au sein des masses arabes, du golfe Arabique à l'océan Atlantique. Plus de deux cent cinquante millions aujourd'hui peuvent facilement créer cette dynamique exceptionnelle s'ils sont convenablement encadrés et orientés.
Mais, hélas, ils n'ont pas encore trouvé d'hommes prestigieux et de responsables charismatiques –qui existent, mais marginalisés partout dans le Monde arabe– qui puissent leur redonner le sourire. C'est là le problème.
Par ailleurs, il faut que l'on se taise un peu et que l'on privilégie le travail concret sur la vindicte gratuite, sinon nous aurons l'aspect de ces vulgaires roturiers ou, moins encore, de ces incorrigibles «concierges». Que l'on arrête d'insulter le monde, tout le monde, à travers nos beaux discours et que l'on cesse de diaboliser les autres, les Israéliens et les Américains par exemple, car, en fait, que font-ils qui puisse leur donner des remords… ? Parce que, dans leur logique, ils ne font qu'appliquer leur programme, celui d'une grande puissance qui sait où aller et dans quelle gare s'arrêtera son train. Ces gens-là sont convaincus et ils ont une logique de «militants» d'une cause qui, forcément, ne plaît pas aux Arabes !
Mais nous, les Arabes, où peut-on nous situer ? Dans quelle case peut-on nous loger ? Avons-nous un programme qui tienne la route ? Non ! Nous n'avons rien, même pas cette humilité qui nous fait revenir à notre propre réalité… du moins à reconnaître cette réalité amère où toutes nos entreprises sont vouées à l'échec. Pas une seule réunion de la Ligue arabe, que nous appelons dans un style pompeux «Sommet arabe», ne s'est terminée dans le concret. Aucune décision émanant de n'importe quelle instance arabe n'a été suivie d'application. Et alors, pourquoi aller chez les autres pour montrer du doigt la «bosse» qui saille dans leur dos ?
Ainsi, nous ne savons que parler sans pour autant nous inspirer de notre passé, du temps de notre apogée, pendant le règne de la sagesse des humbles où nous n'avions pas altéré notre marche inexorable vers le progrès. Nous n'étions pas, en ce temps-là, livrés aux appétits féroces de la course au pouvoir ainsi qu'à l'abandon aux vanités, aux plaisirs et aux honneurs.
Qu'avons-nous à dire à nos enfants ?
Aujourd'hui, –revenons hélas à notre situation présente– nous ne sommes même pas le reflet de notre passé. Le miroir de la vérité nous renvoie cette image obscure, rébarbative, qui montre les Arabes, qui nous montre sous notre aspect le plus médiocre. Salah Eddine El Ayoubi se retournerait plusieurs fois dans sa tombe s'il apprenait que nous avons capitulé devant l'ennemi, avec notre pétrole et nos richesses, tout en cédant quelques parcelles de nos
territoires…, ces parcelles qu'il avait défendues jadis contre Richard Cœur de Lion et ses légions. Il en est de même pour Saäd Ibn Abi Waqqas, le héros d'El Qadissiya, ce compagnon du Prophète (QSSSL), s'il apprenait que les Arabes n'ont pas été à la hauteur, pendant la guerre du Golfe, et que certains, ou presque tous, n'ont pas eu une position qui leur permette de régler le problème entre Arabes, avant qu'il ne soit «décidé» à leur détriment des issues qui ne trouvent pas leurs aboutissements jusqu'à aujourd'hui.
Soixante ans après ce 14 mai 1948, qu'avons-nous à dire à nos enfants? Nous leur dirons, honnêtement, que les masses arabes se sont opposées à Israël et à toutes les forces du mal, par une résistance, certes, mais par une résistance non soutenue et non suivie par nos dirigeants qui avaient d'autres motivations.
Nous leur dirons que ceux-là, nos dirigeants, pas tous heureusement, étaient souvent très timides dans leurs interventions, alors que, s'ils l'avaient voulu, ils auraient pu faire très mal aux ennemis de la cause arabe. Nous leur raconterons pour cela l'épopée de la guerre d'Octobre 1973 qui a effacé l'humiliation de la guerre des «Six-Jours» où nous avions ont été cloués au sol pendant que nos généraux étaient encore en pyjamas. Nous leur raconterons que cette magnifique guerre, menée par l'armée égyptienne, a fait éclater une crise dans le commandement israélien et fait démissionner le chef d'état-major, le général Elazar et le gouvernement de Golda Meïr. Mais nous leur dirons aussi que nous avons abusé de mots vides et sonores, de redondances, de rythme, d'accents, d'assonances, de répétitions et de parallélisme, que nous avons utilisé des phrases qui, souvent, n'étaient pas complètes, même si elles étaient composées de verbes, de sujets et de compléments d'objet direct ou… indirect. Nous leur dirons que n'avons fait que parler…, parler, si bien qu'une fois, nous avons parlé pendant quatre heures, au cours d'un congrès arabe, pour arriver enfin à accepter la proposition faite par un participant qui demandait la suspension de séance pour dix minutes. Eh oui, nous avons débattu une «proposition de levée de séance pour dix minutes», pendant quatre heures… ! Là, franchement, nous sommes loin de la logique !
Kamel Djoumblat, le leader arabe, «précocement disparu», disait à l'un des responsables algériens, répondant à un sujet qui ressemblait drôlement à cette histoire : «Que veux-tu, Descartes n'est pas passé chez nous !» Nous leur dirons enfin –si nous avons le courage de nos opinions– que nous n'avons jamais entrepris sérieusement une démarche pour l'unité du Monde arabe, lequel recèle de principaux atouts, dont la langue, les traditions et l'histoire commune…, et qui pourrait demain se placer aux premières loges du progrès et, pourquoi pas, rayonner sur le monde, à travers sa culture, comme il l'a fait dans le passé.
Ainsi, nous saurons le chemin qui nous reste à parcourir et, nécessairement, nous ferons la différence entre les grandes périodes de notre histoire et, par-delà, au regard des crises qui se succèdent et de l'irréversible déclin lié à l'incapacité de nos différentes «directions» au cours de ces dernières décennies, à leur manque de perspicacité et d'audace, nous n'aurons pas le droit de faire l'amalgame et surtout d'occulter une longue période de combat qui allait connaître la réussite s'il n'y avait de la confusion et ce manque de courage. Il faut écarter les outrances du passé et bannir les préjugés.
Le Monde arabe n'a pas besoin de cela.
Alors, soixante ans après, au moment où Israël redouble de pressions souvent par les massacres et les charges inhumaines, opérés à l'intérieur même de l'Etat palestinien, reconnu par le monde entier et les instances internationales, au moment où il refuse d'obtempérer aux résolutions des Nations unies, notamment celle de se retirer des territoires occupés en juin 67, nous devons réfléchir pour savoir que ce qui nous arrive se comprend aisément. En effet, il se comprend comme une spirale descendante où notre désunion –nous l'avons souligné– et le travail éminemment positif des officines étrangères accentuent notre impuissance et nourrissent la démobilisation qui nous envahit. Est-ce une fatalité que se retrouver dans une pseudo-rupture avec le passé et crier sur tous les toits l'obsolescence de nos mécanismes actuels, surtout économiques et politiques ? La meilleure réponse est qu'il ne faut pas fléchir sur ce terrain, plus spécialement aujourd'hui, et qu'il faut se débarrasser des «macules disgracieuses», lesquelles enlaidissent notre environnement. C'est cela que nous devons dépasser dans ces moments difficiles, car l'accoutumance est rude pour des exaltés qui ont vécu si longtemps sur la culture de la capitulation, mais elle n'est pas impossible pour un peuple qui a démontré, pendant les grandes occasions, des capacités de mobilisation et des sentiments généreux de solidarité et de fraternité. Ce qui nous arrive ne reflète pas du tout le destin des Arabes…, pas du tout. Si l'on persiste à y croire, c'est que tout simplement on va droit vers une analyse de lâches ou, à tout le moins, de ceux qui manifestent de l'indifférence. Ce qui nous arrive est le résultat du «fait accompli», dont plusieurs facteurs ont été à l'origine. C'est pour cela que nous devons le combattre…, et nous aurons les moyens de le combattre et de réussir dans notre entreprise. Nous avons pour cela les «matériaux» nécessaires et indispensables qui doivent être réunis en pareille circonstance. Ils sont là, pour peu que nous sachions les utiliser à bon escient :
1- Le peuple qui est prêt à se sacrifier comme l'ont fait les Algériens tout au long de leur histoire et principalement pendant la révolution de Novembre. Les Palestiniens le démontrent aujourd'hui avec des mains nues, face à un ennemi supérieur en hommes et en armes. Là, bien sûr, ce n'est pas un «cri de guerre», ni un appel au lynchage des «autres», parce que nous sommes pour la paix, pour le rapprochement des peuples. Pour cela, nous n'encourageons pas les conflits armés, parce que nous savons leurs issues, mais nous appelons à une autre guerre, celle de la production, du développement en tout point de vue, de notre mise à niveau avec les autres nations et peuples qui avancent inexorablement vers le progrès.
2- Le territoire qui est aussi vaste et riche en couleurs et qui, de surcroît, nous appartient entièrement depuis la préhistoire.
3- Les ressources nécessaires et intarissables pour nous prendre en charge et les mettre à profit pour de nobles causes, dont la préservation de notre intégrité territoriale, la sauvegarde et la défense de nos intérêts.
4- Enfin, la «cause» qui est la Palestine, une cause foncièrement arabe et dont El Qods demeure, pour tous les Arabes, l'un des lieux saints de l'islam.
En attendant que les Arabes comprennent ces principes et se mettent sérieusement au travail pour abonder dans le sens d'une véritable unité, à l'image de celles qui s'érigent sur d'autres continents et chez des peuples qui saisissent la nécessité de «l'union qui fait véritablement la force», nous espérons voir
apparaître ce «réflexe de noyé», même si nous avons été déçus, en ce triste soixantième anniversaire, par la recrudescence des divisions dans le Monde arabe, notamment au Liban, et par la timidité des médias officiels, les nôtres, généralement plus entreprenants quand ils se lancent dans des panégyriques pour louer leurs dirigeants. Cependant, notre unité ne sera proche de la concrétisation que si nos gouvernants décident de franchir le pas pour pénétrer d'autres «horizons», autrement plus clairs, des horizons qui arpenteront inévitablement le chemin des réformes, dans tous les domaines. Les systèmes arabes sont érodés, tous les systèmes, par rapport aux exigences des temps nouveaux. Il ne faut pas se voiler la face.
Et donc, ce n'est vraiment pas avec les programmes –loués indéfectiblement aujourd'hui dans ces mêmes médias officiels– et qui n'ont aucune attache avec la réalité du terrain, que nous pouvons avancer dans ce troisième millénaire.
Il faut plus de démocratie, que dis-je… l'application de la véritable démocratie, pas celle de façade qui s'est érigée en «faire-valoir», dans tous les pays arabes… sans distinction. Il faut, enfin, plus de sérieux, plus de travail, plus de solidarité entre nous, il faut réunir tous nos cadres, leur donner la chance de s'exprimer, chez nous, de montrer leur compétence et leur savoir-faire…
Il faut les mettre là où il faut et se départir de cette ambiance de népotisme, de favoritisme et de clanisme qui existe dans tous nos pays. Ainsi, en mettant, «l'homme qu'il faut à la place qu'il faut», nous n'aurions pas peur d'aller vers cette unité tellement attendue par le peuple arabe, ni même de nous mettre face à ces «grands» qui dirigent le monde, et de les regarder dans le blanc des yeux !
K. B.
*Ancien ministre de la Jeunesse et du sport et ancien ambassadeur d'Algérie à Damas


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