De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Le désintérêt pour la lecture est un phénomène mondial qui prend de l'ampleur dans le sillage de l'essor des technologies de pointe dans différents domaines, ce qui induit de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes en ce qui concerne le rapport avec le livre et la lecture. De ce fait, les éditions imprimées ont été remplacée par le «on line», le zapping, ces nouveaux supports de texte et vecteurs de la culture. L'Internet est l'une des causes du recul de la lecture, selon les experts mondiaux qui ont mesuré l'impact de ces nouveaux outils. Cette interprétation est d'ailleurs mise en avant et exploitée par les promoteurs à l'échelle nationale, telle une échappatoire suffisante pour expliquer en grande partie l'opinion sur le malaise qui ronge la lecture en Algérie. En fait, l'initiation à la lecture et l'incitation de la jeunesse à fréquenter les bibliothèques et les librairies demeurent sans suite. Les efforts des pouvoirs publics semblent limités à des initiatives inopérantes se traduisant par des dépenses en salons, festivals et expositions ventes de livres qui, souvent, sont plus rentables et profitables aux exposants, importateurs et éditeurs qu'aux lecteurs eux-mêmes. Aussi est-il nécessaire que ces manifestations dédiées à la promotion du livre et de la lecture soient régulées, organisées et même thématisées afin de cibler et intéresser le public. Il s'agira aussi de sortir ces manifestations de la capitale pour les étendre à tout le territoire national. Par ailleurs, il faut accorder plus d'importance à l'universalité de la culture, car le livre contribue à l'ouverture de l'esprit. Il permet de découvrir le monde dans toute sa diversité culturelle et civilisationelle. Comme il permet de s'oublier dans des lectures distractives et amusantes. Il n'est pas nécessaire de disposer d'un métro ou de grands jardins parisiens pour ouvrir les pages d'un recueil. Car la passion pour le livre et la lecture s'inculque à un âge précoce, et cette curiosité sera difficile à rattraper plus tard, à l'âge adulte, si, enfant, on n'a pas découvert cette magie ! Avant de demander aux jeunes s'ils lisent ou non, il importe de faire d'abord les constats sur l'existence de bibliothèques dans les écoles, qui sont le premier vecteur de l'expansion du goût à la lecture, et surtout sur le type d'ouvrages qu'elles recèlent. En fait, pédagogues et spécialistes s'accordent à dire que, si ce goût qui s'acquiert dès la petite enfance n'est pas inculqué par les parents, il appartient dès lors à l'école de «rattraper» cette déficience, et elle peut le faire. Mais il n'en est rien. Rares sont les établissements qui disposent de bibliothèques dignes de ce nom. Ce manque est souvent justifié par l'absence d'espace au niveau de ces structures. Sur un autre plan, on «incrimine» également les programmes scolaires qui sont surchargés, ne laissant pas à l'enfant suffisamment de temps pour autre chose que les devoirs d'école. La lecture, tant pédagogique que distractive, est exclue volontairement de l'école. «Un enfant dans le primaire, qui a autant de révisions et de devoirs à faire à la maison, ne peut pas trouver de temps pour autre chose. Comment veut-on qu'il lise ? Il n'a même pas le temps de se remettre de sa fatigue quotidienne», nous dira un instituteur. Ainsi, seuls les enfants qui ont la chance d'avoir des parents conscients de l'importance du livre et de la lecture (on peut trouver des livres de contes à 200 dinars) s'en sortent. Les autres doivent se contenter des quelques textes que leurs enseignants leur donnent comme devoir de lecture. Evidemment, les moins studieux s'en sortent à peine à l'école en raison de ces programmes scolaires qui ne laissent même pas de la place pour les jeux. S'agissant de la seconde frange de lecteurs, les étudiants principalement, tout le monde est conscient de la déperdition de la notion de lecture au niveau de ce palier. Ce déficit est collé à la donne commerciale : en raison de sa cherté, le livre «intéressant» devient inaccessible aux bourses moyennes. Toutefois, cet avis n'est pas partagé par l'ensemble des étudiants et enseignants. Pour l'anecdote, et c'est une amère réalité, un enseignant au département des langues qui visitait une librairie au niveau du centre-ville s'arrêta un temps et lança : «Vous savez, j'enseigne à l'université. Mais croyez-moi que peu d'étudiants lisent des ouvrages littéraires pourtant faisant partie de leur cursus […] Il ne faut pas dès lors s'étonner si les libraires sont les moins sollicités.». Sur un autre plan, il est utile de rappeler qu'à Constantine, les initiatives pour la promotion de la lecture émanaient il y a quelques années de la librairie d'une maison d'édition, la première à mettre l'été en lecture. Elle optait pour une opération intitulée «été en poche», chaque année du 21 juin au 31 juillet, durant laquelle la librairie se transforme en grande pochothèque. Les marges bénéficiaires ont été revues à la baisse sur tous les produits livresques et non seulement sur les rossignols ou autres invendus. Malheureusement, les quatre éditions qu'a connues cette opération n'ont pas enregistré l'effet escompté. D'une part, à cause de l'absence de public et, de l'autre, face aux «expositions-ventes extra professionnelles» organisées à longueur d'années et où le livre n'est en fait qu'un «paravent» qui cache des visées purement commerciales. Ces manifestations sont pourtant soutenues par les responsables locaux de la culture, même si tous les professionnels du livre affirment que ce sont des irruptions dans leur domaine qui les découragent. Preuve en est l'initiateur de «l'été en poche» a été obligé de mettre en veilleuse son opération. Ainsi, dire qu'à chaque coin de la ville de Malek Haddad on peut trouver des ouvrages serait un leurre. Tant que des pseudo promoteurs cohabitent sans impunité avec les férus du livre, on n'est, pas près de revoir les livres fleurir les espaces publics. Seule exception : les personnes dépassant la quarantaine chez qui la lecture garde toute sa valeur et a toujours son importance. En somme, il reste à intéresser le gros des troupes, les jeunes et les enfants. Et c'est là le défi des parents, des écoles et des pouvoirs publics…