Dans l'Algérie de 2008, il n'y a pas que le terrorisme, la voiture et la cigarette qui tuent. La pizza garnie de cholestérol tue. La merguez farcie de graisse et de cartilage, la mayonnaise empoisonnée, la frite gorgée d'huile sursaturée, aussi. La «chawarma» gréco-turque, accommodée à l'algérienne, la «garantita», la fameuse calentita des Espagnols d'Oran, «lemhadjeb» de chez nous et bien d'autres mets frelatés tuent également. Ce «terrorisme alimentaire» est une véritable machine à occire dans un pays qui compte 8 millions de malades en liaison avec le régime et l'hygiène alimentaires. Les chiffres des médecins, des ministères concernés et des rares associations de consommateurs font peur : 36 000 hospitalisations, plus de 3 500 cas d'intoxication et 500 morts par an en moyenne alors que se pose avec acuité la question du contrôle de la conformité et de la qualité des produits de consommation courante. Dans une Algérie qui a renoué avec des maladies d'un autre âge comme la peste bubonique, le choléra ou la gale, intervient, certes, le problème du contrôle sanitaire et de la répression des contrevenants aux règles d'hygiène. Mais pas seulement. Le problème est aussi ailleurs. Il est culturel, c'est-à-dire acquis, dans une société où manger s'apparente désormais à une prise de risque, voire à un danger mortel, au quotidien. Il est certain que le nombre de contrôleurs de la qualité et de la conformité est très faible par rapport au nombre global de commerçants et de marchands de tambouille empoisonnante (19 laboratoires de contrôle, soit un contrôleur pour plus de 300 commerçants sur un total de 1,2 million à travers le territoire). Mais l'essentiel est dans cette culture acquise qui fait que restaurants, gargotes, bouibouis, cafés, boulangeries, fabriques et usines sont devenus de véritables bouillons de culture microbienne et bactérienne. Comme celle qui favorise, par exemple, le botulisme tueur. Dans notre belle Algérie, manger et danger sont consubstantiels quand ils ne deviennent pas synonymes. Comment en serait-il autrement lorsqu'on constate que même de «hauts lieux» de la convivialité gastronomique sont des espaces de prédilection pour des insectes et des rongeurs nuisibles. Blattes grassouillettes et bien d'autres cancrelats voraces, souris, rats, mouches et autres anophèles font partie de la boutique et surtout de l'arrière-boutique. Que peuvent donc, morbleu ! des campagnes de contrôle et de sensibilisation, par définition ponctuelles et rares ? Rien ou presque. Leur efficacité est surtout fonction du je-m'en-foutisme, ce légendaire laxisme algérien qui fait que l'hygiène ne soit plus une valeur sociale. Au point que l'infortuné citoyen ne sait plus manger ou mange n'importe quoi, n'importe où et n'importe comment, parfois de manière compulsive. Sans précaution, dans cette fatale insouciance, inconscience diront les plus sévères. Surtout, sans prendre le temps de voir que le danger est dans l'assiette, le sandwich, le pot de yaourt, le sachet de lait en plastique, la bouteille de «gazouz», le «cachir», la «scaloupe» du gargotier du coin et, parfois dans la baguette panifiée avec des farines raffinées et des produits appelés «améliorants» par des poètes de la chimie nocive qui, eux, savent par quel bout déchiqueter le méchoui. Enfin, question à un dinar algérien démonétisé : que fait l'Etat pour éradiquer la malbouffe et qu'attend-il pour préparer un plan qu'on appellerait par exemple «seïf El Hadjadj alimentaire» ? N. K.