Photo : M. Hacene Par Fella Bouredji Une grande fosse dans le sol ouverte sur le ciel algérois pour un véritable voyage dans le passé. Des piquets délimitant une surface d'environ 1 000 m2. Autour, des engins, des amas de terre et des ouvriers qui déblayent et ratissent. A l'intérieur de la fosse, des archéologues que la chaleur harassante de ce mois d'août ne semble pas réfréner, piochent, guettent et inspectent le moindre bout de terre. La place des Martyrs est bel est bien transformée en chantier. Mais pas n'importe lequel. Un chantier archéologique… Sur place, 12 ouvriers, 14 archéologues algériens et 4 archéologues français s'enthousiasment et s'échinent pour lire l'histoire sur la terre. Le spectacle vaut le détour, surtout en s'approchant et observant attentivement vers le bas. A 7 mètres de profondeur, les niveaux dits anthropiques (pouvant contenir des traces humaines) donnent à voir sur une petite surface une concentration de vestiges archéologiques qui captent le regard. Mosaïques colorées et croix révélant les débris d'une basilique paléochrétienne datant du Ve siècle après J. C. Un mur de fondation contenant des fragments de céramiques datant du Ier siècle après J. C. Un quartier de l'époque ottomane, avec objets métalliques, cuivres, boulets de canon remontant au XIXe siècle. Des sépultures et des ossements non encore situés. La plus ancienne trace consiste en des débris encore en études mais qui remonte à l'époque du roi berbère Juba II, soit au 1er siècle avant J. C. De quoi constituer de remarquables trésors archéologiques pour donner à voir la richesse civilisationnelle de la ville d'Alger, antique Icosium, qui a survécu au passage de tant de colonies, d'apports et de destructions. Kamel Stiti, archéologue, directeur de l'opération de ces sondages, qui ont débuté le 4 juillet dernier, confie ses impressions non sans émotion : «La première particularité qui attire sur ce site c'est que la place des Martyrs a subi des démolitions et des destructions par les Français, c'était donc très étonnant de trouver des vestiges dans cet endroit qui a été rasé et dépossédé de sa substance archéologique à l'époque coloniale», explique-t-il avant de préciser que ces découvertes sont l'occasion rêvée de se réapproprier l'Histoire : «Notre Histoire a toujours été écrite par les autres, ces découvertes sont l'occasion de changer les choses», suggère-t-il. Et d'ajouter : «Ce sont des traces de colonies qui ont traversés notre pays mais pas seulement, dans les fragments retrouvés il y a surtout la trace du savoir-faire et des apports de nos ancêtres investis dans ces différentes civilisations», soutient-il avec verve. Ce chantier archéologique en soulève des passions. Surtout pour ceux conscients des secrets que recèle le sol. Secrets du passé qui ne demandent qu'à être observés de plus près… Après avoir accueilli tant de civilisations… après avoir été notamment la place des armes à la récente époque coloniale pour finir en actuelle place des Martyrs, cet espace se préparait à voir le passage sous peu du tant attendu métro d'Alger. D'où la nécessité d'engager un chantier d'archéologie préventive qui consiste en la conciliation entre projet urbanistique et préservation du patrimoine. Une première en Algérie, et même dans le monde arabe. C'est des archéologues de l'INRAP (Institut français de recherches archéologiques préventives) qui ont été mobilisés pour leur apport technique en la matière. Il s'agit pour eux d'étudier les éléments trouvés pour voir la faisabilité d'éventuels aménagements urbains tout en préservant le patrimoine. En coopération avec les archéologues algériens, ils devront établir un rapport en octobre prochain devant déterminer le sort de ces découvertes mais aussi le devenir du projet de passage du métro d'Alger par la place des Martyrs. Toutes ces reliques découvertes depuis un mois, qui ont résisté au passage du temps et des hommes, seront préservées à l'endroit même où elles ont été trouvées ou acheminés vers des musées… En attendant, les sondages continuent encore aujourd'hui pour s'achever demain. Et toutes les décisions qui ont trait à ces découvertes ne seront connues qu'après Ramadhan…