Il ne reste plus que quelques jours aux amateurs d'art et de culture africains pour découvrir ou de redécouvrir la beauté de l'art africain ancestral à l'occasion de l'exposition qui a été organisée dans le cadre du 2ème Festival panafricain 2009 (Panaf) et qui se clôturera le 20 août prochain à la Safex d'Alger. Lors de cette exposition, des œuvres inédites sont présentées pour la première fois. Le jeune Algérien Nazim Kadri, expert en art contemporain et art africain, collectionneur d'art, galeriste et organisateur d'événements culturels et artistiques s'est passionnément impliqué dans cet événement en œuvrant pour rassembler le plus grand nombre possible d'œuvres grâce à la confiance que lui accordent les collectionneurs et les galeristes internationaux. Ainsi, l'une des œuvres les plus emblématiques de cette exposition est le masque intitulé le Yin et le Yang d'un monde malade III, témoin de l'influence de l'art africain ancien sur les courants artistiques modernes. En effet, comme il est précisé dans le catalogue de l'exposition, un masque similaire, appelé couramment «masque maladie» a inspiré le tableau les Demoiselles d'Avignon de Picasso qui s'est vendu plus de 86 millions d'euros et reste jusqu'à aujourd'hui l'un des tableaux les plus chers au monde. Les visiteurs peuvent également découvrir la statue du Lion royal du Cameroun, choisi pour l'affiche de cet événement, une œuvre ancienne en bronze dorée et d'une rareté exceptionnelle. Une autre œuvre intéressante est celle du Masque-casque Yorouba du Nigeria sculpté dans un bois semi-lourd à patine mate, surmonté d'un coq qui saisit un serpent dans son bec et qui est mordu à son tour au niveau de la patte gauche. Cette scène exprime un proverbe africain qui pourrait se traduire par «celui qui mord sera mordu à son tour». Un masque identique est exposé au musée du quai Branly à Paris. Une inspiration puisée dans le quotidien pétri de spiritualité Le public présent à la Safex peut également découvrir une magnifique et rare harpe du Cameroun, de la région des Grassland. Posé sur les jambes croisées du musicien qui en jouait lors d'événements importants et lors des cérémonies royales, le caisson de l'instrument est sculpté en forme de visage et l'arrière est recouvert d'une peau de serpent. Quatre petites têtes à la bouche en O sont sculptées à chaque extrémité de l'instrument, comme si celui-ci chantait et faisait de la musique aux quatre coins de la terre. Cette œuvre unique est considérée comme un chef-d'œuvre de l'art africain. La thématique de la femme ou plutôt la symbolique de la maternité est également fortement présente avec notamment l'œuvre intitulée Yorouba (maternité). Elle est surmontée d'une impressionnante coiffe en forme de Y habituellement portée par les femmes de roi. Cette sculpture rend hommage à la mère qui travaille tout en portant son enfant. Il est souligné dans la présentation de l'œuvre que «l'harmonie de cette scène servie par un sculpteur visionnaire nous laisse penser qu'aucune société ne peut être équilibrée si la femme n'y participe pas activement». Un autre masque exceptionnel présenté au public est le Cimier bamiléké cubique représentant un buffle. Cet ancien masque est sculpté dans du bois laissé à l'état brut. Il est le témoin de deux styles présents dans la statuaire africaine : un style cubique et un style minimaliste épuré. Il provient de la collection privée de Loirsab Megvineth –Oukhotseci, prince en titre de Tiflis, qui la tenait, selon sa fille unique, de la collection Picasso. Des œuvres ancestrales à la dimension futuriste L'expert en art contemporain et art africain Nazim Kadri avait également présenté une conférence intéressante lors du colloque sur l'art africain qui s'était tenu à la Bibliothèque nationale à l'occasion du Panaf. Lors de son intervention, il a tout d'abord précisé les liens étroits qui existent entre les multiples facettes de l'art et la vie quotidienne en Afrique en soulignant que «ce que l'on appelle communément l'art africain est un ensemble d'arts divers, d'œuvres et d'objets de la vie quotidienne des différentes populations qui occupent l'ensemble de l'Afrique». Ainsi, en Afrique, il existe un grand choix d'objets qui participent à la vie cérémonielle et à la vie quotidienne des populations. Ces réalisations sont d'une grande variété et témoignent de l'ampleur de l'imagination des artisans et des artistes africains. L'expert énumère à cet effet la pléiade d'objets du quotidien où s'exprime la fibre artistique africaine, à l'instar des sièges, des poteries, des portes et des volets sculptés, des tapisseries traditionnelles, des couverts en bois ou en ivoire finement ciselés, des sculptures en bronze, des bijoux en or et bien d'autres créations. Il estime que tous les objets cités et d'autres ont pu acquérir une notoriété artistique grâce «à l'habilité des sculpteurs, à la difficulté de leur réalisation mais aussi par le sens dont ces œuvres sont chargées et par l'histoire qu'elles portent». Par ailleurs, le galeriste met en exergue le fait que ces objets ne soient pas signés par un nom mais par une signature du geste spécifique de l'artiste dont l'œuvre n'est jugée que sur ses subtilités et sa beauté réelle. En conséquence, «ceci permet d'éviter un conditionnement et une spéculation basée sur une simple signature et nous pousse à apprécier une œuvre pour ce qu'elle est vraiment». Suite à ce préambule, Nazim Kadri aborde une des dénominations qui ont fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps, celle de l'appellation de l'art africain en tant qu'arts premiers avec ce qu'elle comporte comme connotation péjorative chez certains nostalgiques de l'époque orientaliste coloniale. A cet effet, il déclare : «En ce qui me concerne, j'entends et j'emploie le terme composé d'arts premiers non pas dans un sens primaire mais dans le sens numéral. Oui, j'accepte ce titre mais j'en change le sens.» «L'art africain, numéro un des arts du XXe siècle» Il argumente le changement de sens en estimant que les arts premiers comptent parmi ces arts numéro un du XXe siècle puisqu'ils ont été source d'inspiration pour nombre des plus grands artistes de ce siècle et de mouvements artistiques tels que le cubisme. Il ajoute qu'on trouve également au sein du vaste champ stylistique des arts premiers, et de l'art africain en particulier, des œuvres reproduisant des formes expressionnistes, minimalistes ou cubistes avant même la création, en Occident, des mouvements faisant référence à ces styles formels. L'expert en art contemporain et en art africain assène : «Que ce soit des œuvres très expressives antérieures au mouvement expressionniste, des réalisations brutes et très épurées proches d'un certain art minimaliste ou des sculptures aux formes cubiques réalisées bien avant que Picasso ne visite le musée du Trocadéro en 1907 où il fut fortement marqué par des sculptures originaires d'Afrique et d'Océanie ; l'art africain portait déjà en lui au XIXe siècle ces divers styles [formels] et bien d'autres.» Il explique qu'en Afrique on n'attribuait pas aux arts un qualificatif générique tel qu'une marque d'appartenance ou un nom représentant un mouvement artistique. On ne théorisait pas non plus les arts pour leur donner plus de sens qu'ils n'en avaient déjà. Ces œuvres portaient déjà beaucoup d'intérêt, de sens et de présence en elles puisqu'elles intervenaient régulièrement et rythmaient la vie des populations. Il affirme à propos de l'importance de l'impact de l'art africain que l'art africain est un art varié, un art vivant qui a insufflé l'inspiration à tant d'artistes tels que Derain, Picasso, Vlaminck, Matisse, Brancusi (Apollinaire) et bien d'autres. Il a également participé à l'inspiration de tant de penseurs et de mouvements artistiques du début du XXe siècle. C'est pourquoi il le qualifie d'art premier du siècle dernier, cet art qui amorce déjà un nouveau départ au XXIe siècle. Pour conclure, Nazim Kadri interpelle les experts en déclarant : «Aujourd'hui, on est en droit de se demander si cet art, qui a été en quelque sorte un des chefs de file de tant de mouvements artistiques ayant marqué le XXe siècle, sera, enfin, reconnu à sa juste valeur au XXIe siècle.» S. A.