La terrasse Cherche chaise désespérément. Après le f'tour, une virée dans les rues et ruelles algéroises peut être salutaire. L'estomac, privé de nourriture toute la journée se voit, à peine le crépuscule annoncé, agressé par des doses surréalistes de protéines animales et végétales, de lipides et de saccharides, le tout noyé dans un fleuve discontinu de liquides. Pour faire «descende» le tout, une bonne marche à pied et un bon bol d'air s'imposent. Quel plaisir, ensuite, de prendre une tasse de thé à la menthe, un café serré ou une boisson fraîche attablé à une terrasse. L'air frais des soirées de fin d'été, conjugué à la pollution sonore des véhicules, le flux incessant des promeneurs, l'insistance outrancière des mendiants et celle des malades mentaux font de ces espaces un univers particulier que tout un chacun veut partager. Mais de la place, il n'y en a pas pour tout le monde. Il faut arriver tôt pour dénicher une chaise. Autour de ces terrasses, des groupes d'hommes, debout, se toisent, s'épient. Qui remarquera le premier un client qui se lève ? Au moindre mouvement de chaise, les regards se croisent. Parfois, on n'attend même pas que la personne retire sa dernière jambe de dessous la table que, déjà, une autre tient fermement le dossier du siège. Alors de là à voir un groupe de clients quitter la table c'est presque un mirage. Une vision. Alors, on se jette avec des gestes retenus mais nerveux sur l'eden post–f'tour. Enfin, on peut siroter calmement notre mauvais café quotidien. S. A. Zlabiya Zlabiya Boufarik, royaume de la zalabiya, grouille de monde ce soir. De la «fouara» jusqu'à la mythique «Zenket El-Areb», des foules immenses marchent et gesticulent. «Qu'est-ce qui se passe ce soir ?», me demandais-je. Des bousculades, des algarades, des promenades, bref, des mouvements incessants que je na'arrive guère à qualifier envahissent le moindre recoin ! Etourdi, je le suis réellement ? Cherchent-ils tous comme moi à acheter de la zlabiya ? Sont-ils des touristes venus à Boufarik rien que pour découvrir sa légendaire zlabiya ? Des questions rien que des questions… Mais où est finalement la zlabiya ? Non, je ne la trouve pas nulle part ! Dans aucun quartier... même pas à Ksari, le berceau de la zlabiya «boufarikoise» ! Et pourtant, les grillades sont plantées partout et parfument toute la ville. En colère, je pars déposer plainte au commissariat. «Vous êtes fou ! Sortez d'ici», me criait-on à la figure. A l'extérieur, un hadji me lance cette phrase : « Zlabiya harget en Allemagne. Pour avoir un kilogramme, il te faut le visa»… A. S. Le chat Le soir, il régnait en maître sur les rues de la ville. Et dans les cités algériennes les nuits sont longues. A partir de 20h, rares sont les boutiques qui restent ouvertes. A croire que les commerçants ont été formés par des fonctionnaires. Mais lui, il n'en a cure. Bien au contraire. Moins il y a de monde, mieux il se porte. Depuis plus d'une semaine, son espace-vie est envahi. Plus moyen d'errer calmement dans ces ruelles jadis désertes. «Que s'est-il passé ?», se demande-t-il. «Suis-je décalé dans le temps ou sont-ce eux ? ». Assis à même le trottoir, la tête basculée en arrière, il regarde ce pullulement de gens. Complètement amorphes la journée, les homoalgérianicus (HO) reprennent toute leur vigueur une fois la nuit tombée. Les feux des véhicules clignotent dans une danse continuelle de lumières. «Pas moyen de trouver un coin sombre ce soir», déplore-t-il. Lui, c'est le chat de gouttière. Chétif, hirsute, sale et méchant la terreur des minous du quartier à peur ces jours-ci. Plus moyen de gagner sa croûte tranquillement. Il est vrai que les poubelles sont plaines, mais il est risqué de s'y aventurer. Alors le chat déprime. Il regarde autour de lui et s'enlise dans des pensées nostalgiques. Les siennes datent de quelques jours seulement. Allez donc lui expliquer qu'un mois par an, le rythme de vie des Ho's change. Et que ce n'est ni la faute du soleil ni celle des étoiles. Peut-être un peu de la lune. Ramadhan c'est la faute à personne. C'est un mois de bénédiction, seulement pour les concernés. S. A. Un bon café Quelques instants juste après le ftour. Il occupe déjà la tête. Le café ! Un bon café noir. C'est la même chose depuis le début de Ramadhan. C'est l'indétrônable drogue qui s'impose pour certains avec une belle cigarette. On le prend autour de la même table, avec les mêmes personnes, le même serveur, les mêmes débats, le même endroit et le même moment. Peu importe l'entourage. Cette sacrée liqueur a largement sa place durant la vie ô combien courte du mois sacré. Elle assiste souvent et toujours à des discussions interminables. Entre deux idées, deux phrases, un regard, un geste, elle fait figure de juge. Elle est, là, présente. Elle s'impose. Sa couleur noire donne envie d'éterniser chaque gorgée. Accompagnée d'une bouffée non pas d'oxygène mais de tabac, elle atteint les veines et même les artères de ce pauvre corps et distribuer équitablement sa charge. Ce squelette qui ne peut s'en passer malheureusement. Elle est la star de la table. Son nom se prononce à chaque instant. Elle veille souvent à ce que ces corps fragiles, asséchés par la soif, affaiblis par la faim, résistent une éternité. Une éternité aussi courte que les quelques secondes passées furtivement devant une chorba, fière de détrôner tous les succulents plats durant trente jours. Il est là, ce café. Il annonce le début de la soirée. L'entame du bal. Que les corps se réaniment. Et les nuits ramadhanesque s'annoncent longues.