Les employés de certaines grandes entreprises ont même bénéficié d'une journée chômée et payée. Hier, à quelques heures avant le match qui a opposé l'équipe d'Algérie à celle de la Slovénie, la capitale était baignée d'une ambiance spéciale; celle des longs week-ends et autres journées de fête. En fait, la rencontre de football aura réussi à éliminer les sempiternels encombrements qui caractérisent d'habitude le trafic algérois. Le premier match de la troisième journée de la Coupe du Monde aura même quasiment imposé une journée sans voiture au centre d'Alger. «J'ai réussi à rejoindre mon lieu de travail en un temps record, alors que généralement je mets généralement une heure rien que pour franchir le barrage des Bananiers!» dira à ce titre un citoyen devant regagner Kouba à partir de Aïn Taya. En effet, et dès les premières heures de la matinée, Alger la Blanche était agréable à vivre car moins stressante que de coutume. Au fur et à mesure que l'heure H approchait, les rues et ruelles se vidaient imperceptiblement. L'Expression qui a sillonné les principales artères algéroises, a, dès l'entame de l'hymne national, relevé une désaffection massive des commerces et des transports. La cité ne vivait que pour le match. La radio et les télévisions imposaient leur diktat. A la place du 1er-Mai aucun bus privé n'était visible aux alentours de la grande station de trolleybus, seuls les véhicules de l'Etusa, bariolés de bleu et de blanc assuraient quelques timides navettes et pouvaient soulager les rares personnes laissées en rade sur les quais. Ces dernières étaient généralement des mères de famille aux mains chargées de provisions. Le trafic des taxis était également évanescent et renseignait sur la démission générale qui pénalisa ainsi la notion de service public. Quelques points noirs entachèrent néanmoins ce décor serein, notamment au niveau de la côte, à hauteur du chemin Bobillot, où des voitures peinaient à s'engager dans la trémie devant les mener en haut du boulevard Galieni. Quelques retardataires qui avaient jugé large leur temps, tentaient, en effet, de regagner leurs résidences sur les hauteurs de la ville. Cette image contrastait radicalement avec celle observée plus bas et où l'on percevait un hôpital Mustapha plus que jamais libéré de son fameux bouchon de la circulation. Dès les premières minutes de jeu, la Place Addis Abeba était étrangement vide et autorisait un accès rapide au Sacré Coeur, où cafétérias et pizzerias étaient bondées. Les murs de ces points de restauration rapide étaient flanqués d'écrans qui transmettaient en direct les images de l'événement du jour. Dehors, quelques rares représentantes de la gent féminine se hasardaient dans la rue Didouche Mourad, léchant du regard les vitrines des magasins et boutiques qui font la légende de ce coeur battant d'Alger mais qui étaient désespérément fermés. Didouche-Mourad était une rue fantôme. L'activité économique de cette voie commerçante s'est tarie pour la circonstance. Cette désertion soudaine était perceptible jusqu'à la place Maurice Audin, où terrasses de cafés et autres surfaces devinrent brusquement des no mans land. Ça et là des grappes humaines se formaient devant quelques échoppes d'appareils électroménagers, dont le propriétaire, comme dans un élan de solidarité nationale, daignait bien mettre en servitude un téléviseur. Ni la Grande Poste, ni la rue Ben M'hidi n'échappaient à cette léthargie générale. Idem pour les fiefs traditionnels du Mouloudia, à l'instar de Bab El Oued et de Bologhine. La majorité des Algériens ayant préféré vivre les intenses moments, calfeutrés dans le confort de leurs foyers. Certaines grandes entreprises ont d'ailleurs carrément accordé «la journée chômée et payée» à leurs employés. Alors que de grands ministères ont opté pour des écrans géants afin de permettre à leurs fonctionnaires de suivre in situ et aisément les prouesses du Onze national sur le sol sud-africain. L'après-match, la défaite des Fennecs fut amèrement vécue par les algérois qui ont finalement cédé à l'abattement. Alger s'enfonça alors, au crépuscule de cette journée du 13 juin, dans une légère déprime que tout le monde espère passagère.