De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar Il y a de mauvaises habitudes bien ancrées, qui nuisent énormément au bon fonctionnement du service public. Comportements asociaux qui sacrifient les besoins de la communauté sur l'autel du bien-être individuel. Ce genre d'attitudes déteint immanquablement sur l'image d'un pays, la renommée d'une cité ou celle d'un quartier. Des pratiques archaïques et des réflexes d'une autre époque où des notions comme la citoyenneté et l'intérêt collectif n'ont quasiment aucun sens. Ici, on oublie souvent ses obligations envers la société et on pense égoïstement à son petit bonheur personnel, quitte à mettre autrui dans la difficulté. La démission collective qui accompagne généralement la fête de l'Aïd constitue un cas d'espèce à ce genre de comportements contraire à l'éthique et à la morale des temps présents. Ce même désistement se trouve réédité, par ailleurs, chaque vendredi. En se réfugiant faussement derrière d'apparentes considérations d'ordre religieux, des milliers de citoyens se soustraient ainsi à leurs devoirs les plus élémentaires. Imaginons, ne serait-ce qu'un instant, que tout le pays se mette en stand-by à l'appel de la prière. La sécurité du pays tout entier se trouverait évidemment mise en péril. A la veille de l'Aïd, les lieux publics se vident graduellement pour se figer complètement deux ou trois jours durant. Les boulangers abandonnent leurs pétrins, les restaurateurs rentrent chez eux, les transporteurs se volatilisent, et les échoppes ferment aussi sans aucun préavis. C'est la paralysie générale ! Cette façon bien à nous de faire la fête à huis clos crée à chaque occasion d'innombrables désagréments à l'ensemble des usagers, surtout les voyageurs. On ne peut, alors, ni s'approvisionner en vivres ni se déplacer, faute de transport en commun. Les fêtes religieuses constituent toujours un prétexte sérieux au regroupement familial. Les émigrés, les personnes qui travaillent loin de chez elles, les étudiants, tout le monde va passer l'Aïd à la maison. La demande en matière de services publics, notamment le transport, décuple alors. Une semaine avant la célébration, on sent déjà une certaine pression dans les gares, les aéroports et les stations de taxi. Et, c'est paradoxalement le moment choisi par bon nombre d'opérateurs pour prendre un congé. L'anarchie se saisit naturellement de tout le système. Les «taxis» clandestins profitent de l'occasion pour racketter leurs «clients» au su et au vu de tous. Les lois sont pourtant très claires là-dessus. Aucun acteur n'a le droit d'agir comme bon lui semble. Il y a des règles très précises pour administrer des secteurs aussi stratégiques. L'administration semble manifestement dépassée par ce phénomène absentéiste des transporteurs. «Il est vrai qu'il y a des défaillances visibles dans ce registre. Mais, il convient de dire aussi que la loi a aussi ses limites. Il y a ceux qui prétextent des pannes. D'autres se font délivrer des certificats médicaux avec des arrêts de travail dûment certifiés. Chacun y va de sa petite combine pour se justifier», consent, en privé, un cadre de la direction des transports de la wilaya de Béjaïa. En voix off, les représentants de ces corps de métier font valoir leur droit à profiter pleinement de leur vie privée. «Un taximan ou le propriétaire d'un bus a aussi besoin de décompresser et de recharger ses batteries durant les jours fériés», laisse entendre Abdelhak, jeune taxieur, même s'il reconnaît qu'il y a, quelque part, manquement au devoir. Que faire ? Les organisations professionnelles, comme l'Union générale des commerçants et des artisans algériens, les différents syndicats des transporteurs privés ou la Fédération nationale des chauffeurs de taxis, ont un rôle de première importance à jouer. Elles sont moralement interpellées pour réfléchir sérieusement à un code déontologique qui sauverait l'honneur bafoué de la fonction libérale. Il y a urgence à garantir une permanence durant les jours fériés afin de témoigner un peu d'estime à ce client-roi qu'on méprise à chaque fête. Les pouvoirs publics -à travers les directions du commerce et des transports- doivent aussi se saisir de cette lancinante question. On peut effectivement établir des plannings qui contraindraient les concernés à assurer un service minimum obligatoire. Car il s'agit, bel et bien, d'un gros problème qui entame en partie leur crédibilité, leur autorité et leur devoir de régulation du marché. Sur ce dernier point, il est peut-être temps de penser à ressusciter les régies communales de transports pour mettre un terme à cette situation de monopole privé qui nuit énormément aux intérêts des usagers. Les associations de consommateurs -et la société civile de manière générale- sont également tenues de soulever avec force cette question pour imposer le changement tant souhaité. En somme, il y a un sursaut collectif à faire. Chaque partie devrait s'acquitter de sa tâche pour atteindre cette performance qui fait défaut dans le service public des transports.