De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar L'université algérienne traverse, en ce moment, une zone de fortes turbulences. Surpeuplés, tous les établissements de l'enseignement supérieur font face à une crise multiforme. La qualité et l'excellence sont, partout, sacrifiées sur l'autel d'une popularisation médiocre. Insécurité, harcèlements, corporatisme stérile et favoritisme contreproductif, le réquisitoire est lourd. Responsables, enseignants et étudiants sont tous d'accord pour reconnaître un tas de déficiences, notamment, des manquements graves à l'éthique et aux franchises universitaires. En effet, de scabreuses affaires ont éclaboussé l'institution ces derniers mois. A Tizi Ouzou, les étudiantes dénoncent le harcèlement sexuel pratiqué au grand jour par des enseignants indélicats. A quelques jours d'intervalle, un enseignant de l'université de Mostaganem se fait assassiner dans son bureau à coups de couteau par l'un de ses étudiants, mécontent des notes qui lui ont été attribuées lors d'un contrôle. Les ingrédients de la violence Les bagarres entre comités d'étudiants pour le contrôle des cités universitaires se multiplient. La gestion douteuse des œuvres sociales universitaires aiguise les appétits de pseudo représentants de la communauté estudiantine. Le mal est profond. La prise en charge de la situation interpelle tous les partenaires. L'université de Béjaïa n'échappe pas à cette triste réalité. Il y a de cela quelques années, les résidents de la cité universitaire de Tharga Ouzemmour ont dévoilé une liste de jeunes femmes extra universitaires qui ont bénéficié du droit à la chambre, au moment même où des centaines d'étudiants inscrits étaient SDF. L'affaire, sentant le soufre, avait alors été vite étouffée en radiant simplement les mises en cause. Effectivement, les résidences U de Béjaïa pullulent de clandestins, garçons et filles, qui nuisent souvent à la quiétude des pensionnaires légitimes. «Oui, il arrive que des résidentes soient abordées de manière détestable. La situation tourne parfois au pugilat quand la victime se plaint auprès d'un copain ou d'un proche. A l'intérieur même de l'université, il existe aussi des enseignants qui draguent de manière un peu trop voyante», affirme Salim, un membre du comité de la résidence citée précédemment. Au mois d'avril 1999, un enseignant a été assassiné à l'intérieur même de l'enceinte universitaire par l'un de ces extras, surpris en train de voler l'autoradio de la victime. Saadi Djaafri, professeur d'électrotechnique, a été mortellement poignardé par son agresseur. Des chambres d'étudiants ont été maintes fois dévalisées durant les week-ends où pendant les vacances. Mais s'agissant de la question relative au harcèlement sexuel, l'interprétation diffère d'un individu à un autre. Chacun porte son propre regard sur ces accrocs de la vie quotidienne. «Certaines étudiantes arborent des postures hippies très provocatrices. Des ‘'allumeuses'' y en a. D'autres s'emploient davantage à se ‘'caser'' qu'à faire des études pour décrocher un diplôme. C'est compliqué de vouloir comprendre ce genre de dérapages», tempère de son côté, Nassim, également membre de la même association. Favoritisme et copinage Les étudiants évoquent, par ailleurs, des cas de favoritisme dans l'attribution des notes. Les relations de copinage entretenues avec les enseignants servent à cela justement. Des petits coups de pouce seraient ainsi donnés pour empêcher «une connaissance» de refaire l'année. Le corps enseignant, de son côté, évoque des conditions de travail contraignantes eu égard au nombre élevé d'étudiants par division pédagogique. «On évolue au quotidien dans une espèce de promiscuité où il est extrêmement difficile de gérer les humeurs des uns et des autres. Il y a aussi un problème de maturité des effectifs. Jadis, on avait affaire à des personnes adultes qui avaient une certaine expérience de la vie. L'étudiant d'aujourd'hui est généralement une personne paumée qui a une vision très superficielle de la coexistence collective. Il y a en quelque sorte un problème de tolérance», témoigne Sadek, un chargé de cours à la faculté d'économie, en regrettant les valeurs d'autrefois. Souvent, les universitaires justifient le niveau par la «médiocrité» de la formation dispensée dans le primaire, le moyen et le secondaire. Le recul de l'intellect Il y a, en effet, des tares qui relèvent de l'éducation proprement dite et du bagage culturel très limité du commun des étudiants. «Dans le temps, les collectifs culturels et les associations d'étudiants organisent des événements culturels et sportifs de haute facture. Ces activités ludiques créent une espèce de conscience intellectuelle qui rapproche tous les membres de la communauté universitaire. Rien de tel de nos jours. L'incivisme et le copiage minent les rapports en profondeur», explique Rachid, maître-assistant au département des sciences humaines. Tous les maux qui rongent aujourd'hui nos facs proviennent peut-être de cet infantilisme. Toute la société, à commencer par la famille, en est responsable.