Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Hippone, Bled El Anneb, Bône puis Annaba, autant de noms pour une ville trois fois millénaire qui a vu défiler sur son territoire des civilisations portées par des hommes et dont les vestiges défiant le temps se dressent encore de nos jours narguant une modernité stérile qui n'a plus de repères. La toponymie des lieux raconte l'histoire, les cultures et les civilisations qui se sont succédé dans cet affaissement dans la masse cristalline de l'Edough majestueux surplombant la ville des jujubes et qui observe avec un calme olympien le tumulte des hommes. Surnommée la Coquette par ses habitants et ses amoureux inconditionnels, cette ville qui avait suscité bien des convoitises avait abrité un comptoir phénicien. Alliée de Carthage, métropole numide prospère sous Massinissa, province romaine d'Africa Nova sous Jules César, foyer du christianisme sous l'épiscopat de Saint Augustin, elle fut prise ensuite par les vandales supplantés par les Byzantins en 533 pour être islamisée en 705. Les Français vinrent bien plus tard (1832) occuper cette ville devenue cosmopolite où le brassage des races et des cultures est à la base de la tolérance et de la cohabitation pacifique. Annaba, aujourd'hui, une ville résolument tournée vers la modernité avec son passé chargé d'histoire, s'est développée, de nouvelles cités ont poussé, avenues, boulevards, rues, immeubles, grands hôtels et autres équipements publics témoignent d'un progrès qui la placent au rang des grandes villes au bord de la Méditerranée. Cependant, malgré une odonymie qui tire son origine de la glorieuse guerre de libération nationale, celle héritée du colonialisme français est restée dans les esprits et est toujours usitée par les populations qui n'ont pas encore intégré les baptêmes de rues et places publiques de la ville. A part le boulevard du 1er Novembre 1954, ou celui de l'ALN, les rues Aslah Hocine et Bouzered ou quelques cités comme «l'Orangeraie», «Les Orangers», «Safsaf», «Sidi Harb» «El Fakharine», le reste porte encore les noms laissés par l'occupant, malgré leur débaptisation par l'administration. «On n'efface pas des esprits 132 ans d'occupation par une décision administrative, cela prend beaucoup de temps avant que les populations ne s'habituent aux nouvelles dénominations», nous confie un natif de la région. En effet, dans la réalité, ces propos se confirment, les plages Fellah Rachid et Rizzi Amor sont plus connues sous les noms de Chappuis et Saint-Cloud et ces noms sont repris par tous ignorant ces 2 grands hommes tombés au champ d'honneur pour libérer le pays. Les 2 premiers, l'un colonel de l'armée française commandant le 7ème régiment de tirailleurs algériens qui ont participé activement à la libération de la France occupée par les Allemands et le second est, comme son nom l'indique un saint de l'Eglise catholique. Officiellement, pour l'administration, ces noms n'existent plus et même si on mentionne le nouveau nom de ces plages, on précise ex-Chappuis ou Saint Cloud. Il faut dire que l'occupation a laissé des séquelles indélébiles et dont il est difficile de se débarrasser. La place «Alexis Lambert» en plein centre-ville à Annaba encadrée par les rues Bouzbid Ahmed et Jean Louis Bousquet avec en face l'école Georges Isaac, arbore toujours le même nom et n'a pas été débaptisée ; aucune plaque n'indique un nom quelconque et les habitants continuent à l'appeler ainsi. Cette odonymie avait peut-être été conservée par l'administration en hommage à Alexis Lambert ; gouverneur d'Algérie et préfet de Bône qui s'attacha à signaler les abus du régime militaire, des bureaux arabes, et à demander l'établissement d'un gouvernement civil dans la colonie. C'est le cas aussi du CEM Max Marchand, un Normand passionné d'Algérie assassiné par l'OAS le 15 mars 1962 avec 5 de ses compagnons, dont l'écrivain algérien Mouloud Feraoun. Un autre quartier huppé à Annaba conserve toujours son nom d'origine, il s'agit de la cité résidentielle «Beau Séjour», on s'est contenté de traduire par «Hay El Mandhar El Djamil» mais dans la pratique, les habitants se plaisent toujours à l'appeler par son ancien nom. Pour les anciennes cités comme «la Colonne», «Les Lauriers Roses», «l'Elysa» ou la cité «Auzas» même si une nouvelle odonymie leur a été attribuée, les Annabis préfèrent pour des raisons pratiques utiliser les anciens noms puisque connus par tous et il n'y a pas risque de confusion. Pour les nouvelles cités, le problème ne se pose pas, les odonymes employés par l'administration ont trait à des dates historiques ou à des noms de chouhada de la guerre de libération nationale. Cependant pour certaines cités comme c'est le cas de Sidi Harb, un nom très répandu à Annaba, on s'est contenté d'y accoler juste des chiffres, si bien qu'on s'est retrouvé avec des Sidi Harb I II III et VI, ce qui provoqua l'ire du wali, lors de l'une de ses tournées «On ne peut pas changer ces dénominations» Que se passe-t-il on est à court de noms ? Il faut baptiser ces cités dans les plus brefs délais !» avait lancé le chef de l'exécutif à l'adresse des responsables locaux. Les cités dites AADL n'ont pas été, pour la plupart d'entre elles, baptisées, et le nom AADL est toujours usité ; pour faire la différence entre les différentes cités, les habitants ont recours à des repères connus comme la cité AADL près d'El Hattab ou Djabanet Lihoud ou encore la cité AADL des Allemands, etc.