«L'œuvre civilisatrice» de la France «millénaire» en Algérie (comme il plaît à certains de désigner la colonisation barbare) est, en réalité, une entreprise de destruction sélective et planifiée d'une autre civilisation enracinée et établie depuis des siècles. Passé les premières années qui ont vu massacrer les populations lesquelles n'ont fait que défendre leurs territoires, la France ayant assis son pouvoir sur tout le pays, commencent le pillage et la destruction de tout un patrimoine dont les vestiges se dressaient encore, défiant le temps et les hommes et narguant l'envahisseur. A Alger, à Constantine, à Annaba ou encore à Oran pour ne citer que ces villes du nord du pays, toute trace de la civilisation arabo-islamique a été spoliée, souillée, écrasée par des pieds incultes et vandalisée par des mains «savantes et expertes» quand il s'agit de démolir et de détruire. A Annaba, «l'œuvre» supervisée par des spécialistes a, dans un premier temps, fait un inventaire exhaustif de toute expression culturelle ou cultuelle, de tout lien physique avec le passé glorieux de la civilisation de «l'autre» pour effacer son identité et arriver, ainsi, à un syncrétisme hybride qui déracinerait «l'autochtone» de ses origines pour embrasser et adopter une civilisation qui s'est imposée par la force des armes. Les lieux de culte ont été particulièrement visés dans cette ville ; ainsi, la mosquée Abou Merouane, un petit bijou d'architecture arabo-musulmane, un haut lieu de l'islam, un centre de rayonnement culturel et scientifique construit au XIe siècle, a été confisquée et interdite aux fidèles. Les bas-reliefs ornés d'arabesques et de versets du Coran sacré ont été détruits, les salles de cours de la medersa ont subi le même sort et tout l'édifice a été détourné de sa vocation d'origine pour abriter… un hôpital militaire. Un sacrilège. La force brutale et la barbarie ont pris le pas sur le savoir et la raison. Ces lieux où se rencontraient les fidèles et les hommes de science, ces lieux où l'on dispensait le savoir et la connaissance sont désormais interdits pour tout musulman. Le cliquetis des armes et le langage roturier des militaires ont remplacé les psalmodies du Coran et les douces voix des exégètes et des uléma qui éclairaient les fidèles. Une façon comme une autre de frapper d'amnésie la mémoire collective par un fait accompli qui se perpétue par la force. Le mausolée de Sidi Brahim Ettoumi et sa mosquée construits au XVIIe siècle ont été à leur tour confisqués et interdits d'accès aux populations ; les militaires déployés tout autour renvoyaient tous ceux qui s'en approchaient. Les lieux sont devenus une sorte de cantonnement permanent où l'armée d'occupation se plaisait à souiller tout ce qui a trait à cette religion à laquelle tous les habitants s'accrochent avec la force du désespoir. La citadelle hafside, bâtie au XIe siècle et dont les murailles sont toujours debout parce que située sur un promontoire qui domine toute la vallée, avait été utilisée comme poste d'observation pour repérer tout mouvement suspect des troupes de l'ALN durant la guerre de libération pour ensuite être dynamitée sans considération aucune pour ce qu'elle représente pour le patrimoine culturel algérien. Il fallait tout détruire, la politique de la terre brûlée trouvait là toute son expression. La muraille se dresse aujourd'hui triomphant de la barbarie et continue à s'exprimer par ses pierres qui ont traversé le temps et les époques, un anachronisme révélateur d'une civilisation qui a décidé de rester pour s'incruster dans le présent et s'affirmer comme immortelle. Le fort des Suppliciés, appelé ainsi pour avoir abrité les geôles où les émules des tortionnaires de la villa Susini pratiquaient leur art avec zèle, est encore là. Le pont qui y mène surnommé par les natifs de la région «gantret El Machnka» (le pont des pendus) conserve de tristes souvenirs. «Quand on traverse ce pont, on ne revient plus», nous dit-on. Par tous ces actes indignes d'un pays qui se targue d'avoir été à l'origine des droits de l'Homme, la France coloniale a exprimé son œuvre civilisatrice, une œuvre de destruction, de mort et de désolation. Et puis, vînt Novembre et la révolution avec ses grands hommes. Une lutte acharnée où l'abnégation et le sacrifice de centaines de milliers d'Algériens ont permis de recouvrer l'indépendance et la dignité de tout un peuple, un peuple pacifique et tolérant qui n'aspirait qu'à vivre. Un peuple qui a enfanté l'un des pères les plus célèbres et les plus influents de l'Eglise latine et l'un des 33 docteurs de l'église saint Augustin d'Hippone dont le nom est intimement lié à sa ville (Hippone, aujourd'hui Annaba). Philosophe et théologien chrétien, évêque d'Hippone et écrivain romain d'origine berbère, il n'avait jamais été inquiété pour ses convictions. Bien au contraire, il avait été protégé et adulé. Né à Thagaste (actuelle Souk Ahras), de père romain et de mère berbère, le 13 novembre 354, mort le 28 août 430, le saint homme a contribué à l'établissement et au développement du christianisme. Aujourd'hui, la basilique de saint-Augustin, bâtie sur une colline qui surplombe Annaba, est devenue avec l'université de Madaure (M'Daourouch, 30 km à l'ouest de Souk Ahras), un haut lieu de pèlerinage pour les chrétiens qui viennent du monde entier pour les visiter et marcher sur les traces de ce grand homme qui a marqué la pensée chrétienne. La basilique préservée et bien conservée attire de plus en plus de visiteurs qui affluent, traversant les mers et les océans pour venir se recueillir là où saint Augustin avait vécu et médité.