L'histoire aurait pu être celle de n'importe quel jeune Algérien ayant vécu cette période d'incertitudes et de bouleversements dans laquelle l'Algérie a été précipitée au lendemain des manifestations d'octobre 1988. La Descente aux enfers de Mohamed Boussadi n'est une fiction que dans le choix des lieux, des personnages et de leurs itinéraires. Nazih, le héros du livre, aurait pu s'appeler Djamel ou Rakif comme Keltoum, sa dulcinée, aurait pu se prénommer Myriam, Sabrina ou Leïla.Nazih est jeune. Il habite avec sa famille dans un tout petit appartement, ou un grand studio, dans le quartier populaire de Bab El Oued. Le père est un handicapé de la guerre de libération, qui n'a bénéficié d'aucun de ces privilèges accordés aux anciens moudjahidine, et refuse d'en demander, par principes et fierté, qu'il s'efforce d'inculquer à ses enfants. La sœur n'a aucune vie, elle se dévoue à la mère grabataire et s'occupe de la maisonnée, de Nazih et de son petit frère. Pétri des principes du paternel, Nazih cependant est aigri et révolté par cette injustice qui les oblige, lui et son frère, à dormir à tour de rôle à cause du manque de place, à voir leur mère s'éteindre parce qu'elle ne peut pas bénéficier d'une prise en charge à l'étranger, à ne manger de la viande qu'une à deux fois par an… Cette situation a fait de Nazih un introverti qui se réfugie dans la religion pour trouver la force de supporter son mal-vivre et dans les études pour sortir sa famille de la misère -il révise ses cours sous la lumière d'un lampadaire (une image connue comme l'est celle de la famille). Le décor est planté et il ne reste plus qu'à faire entrer les différents acteurs des événements qui s'enchaîneront et traceront la destinée de Nazih. Des manifestations populaires d'octobre 1988 aux dérives qui engendreront le terrorisme en passant par l'émergence des partis islamistes et leurs politiques d'embrigadement, on suivra non seulement l'histoire de Nazih, mais on revivra aussi les soubresauts de la société algérienne et du pays, ballotés entre engagements et idéaux aussi fumeux les uns que les autres. Nazih est l'enfant de son quartier, avec sa philosophie et ses règles de conduite. C'est donc tout naturellement qu'il montera aux barricades avec les manifestants d'octobre et qu'il fréquentera la mosquée après l'ouverture démocratique. Là, il sera pris en charge par un groupe et récupéré par le mouvement islamiste. Mais son éducation et Keltoum, une belle lycéenne dont il est tombé follement amoureux, constituent le garde-fou qui l'empêche de plonger dans la violence devenue désormais l'argument du mouvement islamiste. Insidieusement, aidé par la déception née du rejet des parents de Keltoum, la mouvance islamiste amènera Nazih vers l'action terroriste. Et quand il se rendra compte que les terroristes ont plus des visées bassement matérielles que des idéaux de justice, il est déjà trop tard. Nazih est devenu un terroriste et c'est en tant que tel qu'il croisera la mort à la fin du livre. La dernière page tournée, on se rend compte qu'on a lu les 190 pages du livre d'un trait. Ecrit dans un style simple, clair et linéaire, la Descente aux enfers est une histoire dont on devine l'évolution dès les premières pages tant elle épouse la réalité. Ce n'est pas un roman à tiroir, il n'y a pas d'intrigues, mais tout juste une histoire comme il y en a tant dans nos quartiers et nos villes. Le bémol sera pour l'éditeur qui n'a pas soigné la mise en page du livre. Espérons que Soustara, le prochain ouvrage de Mohamed Boussadi, qui a déjà publié les Années sombres, sera mieux présenté. H. G.