Dajmila Bouhired, l'une des icônes du combat libérateur, souffre. Elle souffre d'abord d'ostracisme qui l'a frappée depuis quarante ans. Un ostracisme qui a fait d'elle presque une infréquentable ; puisque des années durant, les tenants du pouvoir et certaines officines, dont font partie ceux qui se sont servis de la révolution pour bâtir des fortunes, ont distillé des informations éhontées sur sa situation. La vérité a fini par éclater au grand jour. La lettre que la combattante a rendue publique hier est lourde de sens. Elle constitue un cinglant démenti à ces commérages de mauvais goût qui l'ont poursuivie pendant toutes ces années où elle a choisi l'humilité et le silence. La grande dame souffre aussi dans sa chair, car elle est malade. Mais ce n'est apparemment pas la maladie qui la fait souffrir, mais plutôt l'indifférence. Cette arme silencieuse tue plus que toute autre arme. Elle est pernicieuse, funeste. Parce qu'il n'y a pas pire malaise que le mépris des hommes et des femmes de sa chair. Ces hommes et femmes pour lesquels la Dame, qui a répondu par un sourire narquois au juge français du tribunal militaire d'Alger qui l'avait jugée à mort en 1957, a sacrifié des beaux jours de sa jeunesse. Djamila Bouhired n'est malheureusement pas un cas isolé. Comme elle, ce sont des dizaines d'anciens combattants, dont certains gardent encore des séquelles indélébiles de ces années de plomb, qui se retrouvent sur le carreau. Beaucoup sont morts dans l'indifférence. Beaucoup souffrent dans le dénuement total. Beaucoup subissent le mépris au vu et au su de tous ceux qui se réclament de «la famille révolutionnaire». Cela s'appelle tout simplement de l'injustice. C'est l'illustration parfaite de la «révolution qui dévore ses enfants». Cette révolution que ces hommes et femmes, semblables de Djamila Bouhired, ont faite. Est-il normal, en fait, que cette Moudjahida, et d'autres encore, ne trouvent pas de prise en charge à l'étranger lorsque leur situation l'exige ? N'y a-t-il pas de moyens suffisants pour les soigner dignement alors que des «artistes» vivant pour la plupart dans l'opulence voient leur pèlerinage pris en charge par l'argent des Algériens ? Ne peut-on pas dégager un peu de cet argent pour ces vrais moudjahidines ? Cette situation dramatique remet, en effet, au goût de jour une problématique jamais résolue depuis l'indépendance. Il s'agit de la primauté de la pulsion personnelle sur l'intérêt général. Combien de fois n'a-t-on vu un responsable exclure un combattant authentique après l'indépendance à cause d'un différend politique ou de vision. Cela s'appelle de la mesquinerie. Djamila Bouhired a justement subi ce sort. Elle a été confinée au silence parce qu'elle ne partage pas forcément la manière de voir et de faire des dirigeants actuels. Elle a choisi de se mettre en dehors des joutes qui se déroulaient pour le pouvoir et l'argent. Son image a disparu du musée des moudjahidine, son nom est banni des programmes scolaires. D'autres ont fait le même choix qu'elle. Ils ont subi le même sort. Jusqu'à quand ces injustices ? A. B.