Au bout de la décennie rouge qui n'a épargné aucun secteur, aucune catégorie sociale et aucune institution, l'Algérie est revenue progressivement d'une période des plus sanglantes dont les stigmates sont toujours vivaces dans la mémoire collective. Les infrastructures, la vie quotidienne plombée par l'état d'urgence, l'économie, les pratiques sportives et festives sont durablement marquées par une tragédie dont toutes les leçons n'ont pas encore été tirées. En activant le logiciel de l'oubli, de la marginalisation des historiens et de l'expertise autonome, le bilan indispensable librement et démocratiquement établi a été différé comme il a été procédé pour la guerre de libération vampirisée par les buveurs de pétrole. L'intolérance maladive envers la pensée autonome, la réflexion critique et les chemins non balisés par l'administration s'est transformée progressivement en un projet de société encore mal dégrossi mais en voie d'être bientôt dominant. Le champ culturel a été laminé systématiquement par le bras armé de l'islamisme à l'algérienne. Inculte, violent, farouchement anti-femme, sans aucun penseur digne de ce nom et à hauteur d'une religion largement répandue sur tous les continents, le front dit islamique algérien n'a connu et ne connaît que l'éradication des idées venues de l'Occident chrétien, impur, arrogant, marqué du sceau de l'ex-colonisateur qu'il faut combattre par tous les moyens. Devant l'inégalité technologique, militaire, économique, culturelle et scientifique, il ne reste plus que le terrorisme à l'échelle la plus large possible. A l'intérieur de ses frontières nationales, le parti d'obédience intégriste travaille à formater la société, l'école, les modes alimentaires et vestimentaires, l'apparence extérieure et une pratique ostentatoire de la religion avec la négation sur le terrain de tous les autres cultes, quelle que soit leur importance. Au mépris de l'article 42 de la Constitution, la culture de l'intolérance permet à des groupements d'agir et de parler dans le champ politique au nom de l'islam, de la prédiction, sans doute pour islamiser un peuple qui l'est depuis très longtemps mais pas assez au goût de prédicateurs et d'imams qui éructent chaque jour avec moult décibels pour mieux conforter les bandes armées qui tuent encore. Le bilan des massacres infligés aux élites algériennes, aux écrivains et artistes, aux experts civils et militaires, aux femmes qui pensent n'est pas fait au niveau de l'appauvrissement de la culture nationale. Les exodes et exils qui ont suivi et précédé la décennie rouge ont contribué à vider le pays de sèves fécondes et nourricières. Un écrivain, un chanteur, un acteur ou un dramaturge assassinés ne se remplacent pas du jour au lendemain. Surtout si la culture de l'intolérance, le refus des altérités et différences trouvent des alliés, des soutiens et des complicités dans des sphères officielles, dans les institutions, avec le budget national. La meilleure des barrières contre tous les archaïsmes et obscurantismes demeure la diversité culturelle, l'expression de toutes les idées et productions artistiques. Le ministère de la Culture qui exerce son magistère avec le budget dérisoire qui est le sien, les compétences où il y a de tout qui sont les siens ne peut pas, à l'évidence, tout seul colmater, former, produire, libérer les esprits et diffuser l'Algérie à l'intérieur et à l'extérieur. La culture de l'intolérance, le combat à mener pour l'éradiquer est l'affaire des partis, du gouvernement dans sa totalité, de l'école, de l'université, des médias lourds, des associations, des entreprises et de la diplomatie. Face à la culture de l'intolérance, l'urgence d'un front national pour la renaissance culturelle et le rayonnement de la création algérienne à travers des industries performantes doit se retrouver dans les programmes partisans et le budget de l'Etat. A. B.