« Ceux qui refusent de regarder la réalité appellent leur propre destruction tout simplement ». James Baldwin A lire les journaux, écouter la radio et regarder la télévision, le sport national semble concentrer contre lui toutes les critiques, et aucun reproche ne lui a été épargné récemment. Face à cette situation, il me semble utile d'éviter deux attitudes ; la première consisterait à se complaire dans une politique de l'autruche, en rejetant en bloc ce profond mécontentement au motif qu'il serait infondé ou viendrait de personnes malintentionnées ; la seconde serait de prendre et d'accepter en bloc toutes les critiques sans un examen approfondi et un indispensable travail de réflexion. Si la critique est justifiée dans un grand nombre de cas, elle doit néanmoins rester sereine et objective. Ce n'est pas toujours le cas. Le sport national ne mérite ni un excès d'honneur ni le fer rouge de l'indignité. La véritable réponse consiste à porter sur lui un regard lucide et responsable. Dans notre pays comme dans le reste du monde, le sport est devenu un phénomène social majeur dont l'importance tend à s'accroître en même temps que grandissent les dangers qui le menacent. Il est un facteur d'épanouissement, de cohésion et d'intégration sociale, d'identification des groupes et des nations. Il a pris une telle place dans nos sociétés, qu'il peut à lui seul constituer un puissant indicateur de réussite ou d'échec tant sur le plan économique que politique. L'ampleur et la vivacité des critiques qui sont adressées aujourd'hui aux activités physiques et sportives en général et au football en particulier sont la rançon de la gloire et le prix de leur extrême visibilité. Il nous revient de dépassionner le débat, de voir avec discernement et recul ce qui peut être amendé, ce qui peut être valorisé et rénové et enfin ce qui doit être combattu sans faille. Le malheur est que face à cette crise existentielle, le sport semble bien seul. Ce dont il s'agit, c'est assurément et d'abord une sérieuse évaluation et une analyse critique de tout le système de l'éducation physique et du sport tant au niveau national que de ses relations internationales. C'est là une étape indispensable et incontournable pour éviter que l'empressement ne soit source d'erreurs, de conclusions erronées, d'inutiles tensions ou de solutions parcellaires. Certes, il est plus courant de parler de trains qui déraillent que de ceux qui arrivent à l'heure. Mais force est de reconnaître que même lorsqu'un train déraille, on ne propose pas de supprimer tous les transports ferroviaires. L'on pense d'abord à déterminer avec précision quelle est la chaîne de responsabilités pour éviter qu'un nouvel accident ne se déroule. Faisons de même pour le sport national dont la refondation ne saurait se suffire, aujourd'hui de simples mesures conjoncturelles ou d'effets d'annonce, mais procéder d'une politique sportive nationale qui s'insère pleinement dans le cadre des autres priorités conduites par le gouvernement tant le sport interfère maintenant avec toutes les séquences de la vie sociale : l'éducation, bien entendu, mais aussi la santé, la culture, la prévention, l'emploi, la vie locale, l'économie, l'entreprise, l'aménagement du territoire, l'environnement, etc. C'est à cette condition que le décalage entre son impact dans le corps social et l'attention dont il fait l'objet, pourrait enfin disparaître. La nécessité de repenser, de rénover et d'adapter les politiques et programmes d'éducation physique et du sport implique, une adéquation avec l'évolution du monde : les doctrines des politiques et programmes de l'éducation physique et du sport conçus pour la plupart comme des modèles au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont inopérantes au regard du contexte moderne dans lequel les différences culturelles affectant les valeurs, les attitudes et les comportements, ne peuvent être occultées. L'une des problématiques récurrentes depuis environ deux décennies repose sur l'urgence qu'eut été d'analyser à tous les niveaux de responsabilité des instances sportives, la portée de la reconfiguration des politiques et programmes d'éducation physique et du sport dans le cadre d'une stratégie à long terme. La quasi-absence de vision stratégique, les changements incessants vécus par le secteur de la jeunesse et des sports, la terrible et dramatique situation imposée par le terrorisme à notre pays ne pouvaient rester sans influence sur le mouvement sportif national et l'action des pouvoirs publics. Nous ne pouvons oublier une actualité qui a foisonné, il y a peu, d'événements tragiques et inquiétants et durant lesquels un certain nombre d'amis et d'anciens collègues ont payé de leur vie leur disponibilité et leur engagement au service de la jeunesse et du sport national. Nous ne pouvons ignorer, aujourd'hui, l'environnement hostile, les dangers et les contraintes qui se sont exercés sur le Mouvement sportif national (MSN). Cette situation a conduit progressivement, par la force des choses, à l'instauration de relations peu compatibles avec les règles de tutelle, de complémentarité, de transparence et de saine gestion qui caractérisent un véritable partenariat entre les instances sportives et les pouvoirs publics. Cette situation n'a pas manqué d'affaiblir les pouvoirs publics et a conduit progressivement le MSN, par la force des choses, à se substituer à eux. Depuis environ une décennie, le pouvoir sportif et le sport spectacle, à la fois triomphants et anarchiques, n'ont jamais été aussi fragiles dans notre pays que depuis qu'ils donnent cette trompeuse impression de puissance. Certes, à travers le monde, le rôle des pouvoirs publics tend aujourd'hui à s'affaiblir. Mais à ce propos, deux points essentiels doivent être mis en exergue, à savoir qu'aucun gouvernement ne saurait se désintéresser d'un phénomène social aussi important que le sport et qu'une part importante de responsabilités revient à l'Etat dans ce domaine. Cela ne diminue en rien la contribution décisive des organismes volontaires qui encadrent et animent l'un des plus importants mouvements de masse dans le monde. Il y a deux ans, j'avais souligné dans le quotidien l'Expression : « Nous voyons sous nos yeux les effets de la mondialisation ébranler le statu quo en générant d'énormes convulsions économiques, sociales, culturelles et, par conséquent, politiques. Des gouvernements faibles, des économies retardataires, différents intégrismes religieux et la poussée de la jeunesse se conjuguent de plus en plus, dans certaines régions du monde, pour créer une dynamique de tempête. Durant les prochaines années, l'ordre international va connaître une période de mutations sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Algérie et sa jeunesse ne pourront rester étrangères à ces mutations et bouleversements ». A l'instar de toute la communauté internationale, notre pays et les activités physiques et sportives ne peuvent échapper à cette période de mondialisation économique, sociale, culturelle et de diffusion de nouvelles technologies de plus en plus actives : en un mot, à une période de profonds changements et de grandes mutations mondiales. L'influence multidimensionnelle de ce contexte international combiné, au niveau national, aux interférences et turbulences que subissent cycliquement les instances sportives exige aujourd'hui et de toute urgence un vaste programme de remise en ordre, de rénovation et de promotion du MSN. La question qui se pose est de savoir si toutes les parties concernées et intéressées sont prêtes à mener une telle réflexion et à unir leurs forces pour prendre les décisions qui s'imposent en vue d'adapter le sport national au troisième millénaire. Vaste programme que celui d'une profonde restructuration du système national sportif, qui pour être menée à bien, nécessite d'abord un large et confiant partenariat et ensuite un véritable pacte national entre les pouvoirs publics et le MSN. Ce pacte, à base de respect mutuel, doit concrétiser un double engagement : celui du gouvernement à reconnaître et à soutenir l'institution sportive et celui de l'institution sportive à être l'acteur principal de sa refondation, de sa rénovation et à accepter au nom de sa transparence et de son efficacité de nouvelles exigences et un contrôle généralisé. Le MSN est-il actuellement soutenu et encouragé pour inscrire sa réflexion et repenser sa réorganisation et ses objectifs dans le cadre de l'évolution actuelle du monde ? Rien n'est moins sûr. Mais, jusqu'à quand pourra-t-on rester sourd à un certain nombre de questionnements : Quelle place pour l'Algérie dans le nouvel ordre sportif mondial en gestation ? Comment être compétitif dans le cadre de l'interdépendance qui résulte de la mondialisation ? Comment le mouvement sportif national doit-il s'adapter ? Avec quelle stratégie et quels moyens ? Que peuvent apporter les nouvelles technologies dans le développement du sport national ? Quelle place et quel rôle pour le mouvement sportif national face aux profonds changements et aux constantes mutations dans notre pays et dans le monde ? Comment normaliser la programmation, le financement, la gestion, l'évaluation et le contrôle des structures sportives ? Si l'on veut déboucher sur des décisions susceptibles d'apporter les corrections indispensables et les redressements nécessaires, ces questions et certainement tant d'autres méritent une plus grande attention, une sérieuse réflexion et des réponses claires. Qui peut croire que les problèmes actuels du sport national se réduisent seulement à l'importance des subventions, à la simple recherche d'entraîneurs et de joueurs étrangers, faute de formation locale, à la seule équipe nationale de football, au simple changement des exécutifs des fédérations ou à l'application d'un certain nombre d'articles, d'un décret, aussi contestables soient-ils ? Les questions sont ailleurs. Il est temps d'affronter avec lucidité et responsabilité Ies véritables problèmes qui minent dangereusement le MSN, et à ce titre, à quand un véritable statut pour l'ensemble des acteurs du MSN, afin d'éviter que n'importe qui fasse n'importe quoi et n'importe comment ? A quand un véritable contrat d'objectifs et de moyens préparé dans le cadre d'un réel partenariat ? Un contrat qui définit avec précision les objectifs, fixe les résultats et les voies et moyens d'y parvenir. Comment expliquer l'absence à ce jour d'un véritable collège et d'un statut national pour les entraîneurs, d'une école de formation pour l'arbitrage et de l'inexistence de directions techniques nationales bénéficiant de réels moyens d'action et de relais efficaces ? Quels devoirs et quels droits pour l'élite nationale ? Comment prétendre à une évolution positive du sport national, lorsque l'on constate la déplorable situation des jeunes catégories et l'absence de centres de regroupement, de formation et de récupération tant dans la majeure partie des clubs que des sélections nationales ? Quelle est la place de la médecine du sport et des contrôles obligatoires ? A quand l'exigence d'un cahier des charges pour toutes les équipes admises parmi l'élite nationale ? A quand un guide sur la normalisation des infrastructures, leur utilisation et leur entretien ? Est-il besoin de plaider la mise en place d'un réseau intranet, d'information, de concertation et de coordination entre le MJS, le COA, l'observatoire national des sports, les fédérations, les instituts de formation, le centre national de médecine sportive et les clubs ? C'est à ce prix que nous pouvons prétendre à une évolution positive et durable et non pas en perpétuant un climat « d'agit pro » ou en multipliant des attitudes de « maquignons ». C'est à ce niveau que se posent les véritables problèmes et que des réponses précises se font attendre. Retarder aujourd'hui un diagnostic rigoureux, manquer de stratégie et d'objectifs clairs et précis autour desquels tous les acteurs, sans exclusive, se sentiront partie prenante et solidaires, c'est accepter de confiner le Mouvement sportif national dans une continuelle fuite en avant, dans d'interminables « chicayatte » et de le désarticuler par d'incessantes luttes de factions et d'appareils nourries par un discours populiste et des intérêts extrasportifs. La situation actuelle n'est pas acceptable ! Chacun peut mesurer à loisir les échecs et les menaces qui pèsent sur le sport national et l'urgente nécessité pour l'ensemble de la famille sportive, pratiquants, éducateurs, entraîneurs, dirigeants, supporters et journalistes sportifs de s'unir pour mener une réflexion commune et une action à la mesure des défis et des attentes du moment. Connaissant personnellement un certain nombre de cadres sportifs et de bénévoles qui n'ont jamais marchandé leur engagement, leur disponibilité et leur compétence, j'ai la conviction que le mouvement sportif national a suffisamment de ressources, de lucidité et de courage à même de lui permettre d'assumer les actions nécessaires à son redressement, à sa valorisation et à sa crédibilité. Cela ne pourra être que le fruit d'un travail d'équipe, mûrement réfléchi, sérieusement organisé et planifié dans le temps. C'est à ce prix que le sport national pourra se rénover avec succès. Nous devons également nous persuader que c'est tout le système des pratiques physiques et sportives qui est à la croisée des chemins ; bien au-delà de la place et de l'importance du football. Faut-il encore que nous soyons en mesure d'instaurer rapidement un climat serein et confiant, de faire appel à toutes les bonnes volontés et d'unir toutes les compétences capables de mener une évaluation et une sérieuse réflexion sur la situation actuelle et le devenir du sport national. Comment prétendre à un quelconque progrès, face au nombre important de cadres et de compétences reconnues du MSN qui se sont retrouvés marginalisés voire exclus ces dernières années : tant il est vrai que « c'est toujours la mauvaise monnaie qui chasse la bonne ». Aujourd'hui, aucune réussite ne peut être sérieusement attendue dans le cadre d'une simple reproduction même « améliorée » d'une situation qui a conduit le sport national vers le naufrage. Nous savons tous qu'il n'est pas possible de réduire la profonde crise que subit le MSN à une simple « crise électorale ». Aucun résultat viable ni valable ne peut être attendu faute d'un vaste et profond changement mûrement réfléchi et organisé depuis les instances de base. Une approche et une réflexion nouvelles, des méthodes modernes et performantes et une expérience avérée sont à l'évidence incontournables pour assurer une réelle refondation et rénovation du sport national. Cette démarche ne serait que la traduction concrète d'une volonté politique récemment affirmée, par le chef de l'Etat qui avait signifié, lors de la réunion restreinte consacrée à la jeunesse et au sport en octobre 2008, la nécessité de renouveler les approches et les politiques vis-à-vis du sport national en soulignant, que « le partenariat trouve l'un de ses meilleurs cadres d'expression dans le domaine du sport. Le mouvement associatif du sport doit être impliqué dans la définition des objectifs ainsi que des moyens attendus de l'Etat, mais aussi s'engager efficacement dans l'action de développement, la moralisation et la renaissance du sport et ce, en conformité avec l'idéal sportif ». Pour ce faire, quatre principes me semblent incontournables : 1- Il faut être réellement à l'écoute du MSN si l'on veut être écouté par lui. 2- Il est essentiel de mobiliser et d'impliquer la grande famille sportive dans toute réflexion portant sur « la renaissance » du sport national et d'intégrer sa vision dans le processus de prise de décision des responsables politiques. Donc, la famille sportive devrait pouvoir rejeter définitivement l'esprit de coterie, les réseaux et les intérêts extrasportifs pour ne retenir que l'intérêt national et le développement du sport. 3- II est indispensable, pour éviter le décalage qui se crée souvent entre le discours officiel sur le sport et les préoccupations véritables de ses dirigeants, d'encourager la participation active et effective du MSN à la définition et à l'exécution des projets le concernant en valorisant ses potentialités. Cette participation active et démocratique s'impose comme une condition sine qua non de toute stratégie en faveur de la refondation et de la rénovation du sport national. 4- En plus d'une volonté politique et d'un solide engagement visant à élaborer une politique nationale des activités physiques et du sport, un certain nombre d'éléments de base devront être clarifiés. La politique nationale du sport doit être le fruit d'un accord permettant à la fois de répondre aux besoins et aux aspirations du MSN et de reconnaître son potentiel comme cadre de développement. Cette politique demeurera purement symbolique faute d'objectifs clairs à long terme et d'un rôle de coordination accepté par tous. Elle doit refléter une approche cohérente, intégrée, multisectorielle et interministérielle. Fondamentalement, il convient de souligner que la politique nationale sportive doit être une politique de l'Etat et non pas une simple politique gouvernementale : c'est à ce prix que le MSN peut également échapper aux traditionnels bouleversements qu'il connaît à chaque changement de ministre. Renouveler notre regard sur le sport, comme nous invite à le faire le président de la République, impose d'une part une démarche fondée sur la confiance, la rigueur et l'esprit responsable, et d'autre part, de bannir définitivement certaines méthodes telles que le manque de concertation, la prime à la cooptation et au clientélisme sources de médiocrité et de dérives. Il faut accepter un débat sans tabous ni exclusive sur l'ensemble des points concernant le sport national. C'est seulement à ce prix qu'il pourra devenir un indicateur très fiable de la vitalité de l'Algérie d'aujourd'hui et de demain. Seule une approche fondée sur des objectifs et des choix clairs et mûrement réfléchis pourra déboucher sur un véritable plan de rénovation et de développement des activités physiques et sportives dans notre pays. L'auteur est : Ancien responsable de l'éducation préventive et t du sport-Unesco, expert international