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Manifeste d'alarme des victimes du terrorisme et des disparus
« Pour que la vérité éclate »
Publié dans El Watan le 29 - 09 - 2005

En 1992, l'Algérie entre dans une violence sanglante qui n'a épargné aucune catégorie sociale. Attentats à la bombe, massacres contre les populations civiles, exécutions extrajudiciaires, tortures à grande échelle, disparitions et viols ont constitué le quotidien des Algériens.
Le pays, meurtri, livré à la terreur et à la barbarie, se réveillait chaque jour pour affronter la mort, avec son lot de malheurs et de destructions. Le bilan est lourd, très lourd : 1 million de victimes dont des dizaines de milliers de morts, des milliers de disparus, des milliers de femmes violées, sans parler des destructions qui ont coûté plus de 30 milliards de dollars selon les derniers chiffres officiels.
Qui peut oublier ?
Dans cette guerre, rien n'a été épargné. Les populations livrées à elles-mêmes subissaient le diktat des groupes islamistes qui ont décrété à coups de fetwas que le djihad est licite contre tous ceux qui n'étaient pas avec eux : à côté des assassinats ciblés (militants politiques et syndicaux, intellectuels, journalistes ...), les images des télévisions du monde entier montraient des bébés aux crânes fracassés, des femmes enceintes éventrées, des têtes coupées. En ces temps-là, elles se comptaient sur les doigts de la main les personnalités qui ont osé dénoncer ces bourreaux d'un autre âge. A cette violence barbare des intégristes, s'ajoute la terreur des corps constitués en guise de représailles. Exécutions sommaires et torture ont été érigées en moyens de lutte contre le terrorisme. Dans cette tourmente, aux dizaines de milliers de morts s'ajoutent des milliers de disparus. « Tout est permis » : les groupes islamistes ont ouvert une autre ère de charniers, pendant que les forces de sécurité multipliaient arrestations, interpellations et convocations aux brigades de gendarmerie de citoyens qui, dans la majorité des cas, ne réapparaissent jamais. Dans ce dernier cas, l'ampleur et la similitude des pratiques qui ont touché toutes les régions du pays dénotent sans conteste une planification et l'existence d'une décision politique centrale qui a engendré cet autre drame. Pendant des années : Des populations errantes, délaissant maisons et terres fuyaient la terreur et la barbarie. Des Algériens par milliers, candidats à l'exil, faisaient le pied de grue des ambassades étrangères pour obtenir un visa. Des milliers d'Algériens ne fermaient pas l'œil de la nuit, le fusil à la main, pour défendre leurs vies et leur honneur. Chaque jour et des années durant, des mères, femmes... de disparus tantôt appréhendant le pire, tantôt cherchant simplement à faire le deuil par la vérité sur le sort d'un être cher, frappent à toutes les portes, bravant la peur et les insultes.
Notre combat
Victimes du terrorisme ou objets d'une disparition forcée, nos enfants ne peuvent accepter que leurs bourreaux restent anonymes. Ils ne peuvent reposer en paix si leur sacrifice ne contribue pas à prémunir les générations futures d'une nouvelle « décennie rouge ». Nous ne pouvons, par conséquent, mandater personne à effacer de nos mémoires de tels crimes et nous continuerons à nous battre au-delà du 29 septembre contre le projet d'impunité orchestré avec le concours d'une nouvelle classe politique symbolisée par des personnes qui n'ont eu comme seul credo que de surfer sur les malheurs de leurs concitoyens pour construire des carrières et qui menacent en chœur « ceux qui sont contre la charte de Bouteflika ».
Que nous propose cette charte ?
La charte estime dans son préambule que I'Algérie a été victime « d'une agression criminelle sans précédent visant dans ses sinistres desseins à effacer les acquis du peuple à remettre en cause l'Etat national lui-même ». Plus loin, à la fin du même chapitre, il est écrit : « Il (le peuple algérien) affirme sa détermination à capitaliser les enseignements tirés de cette tragédie, afin de consolider le socle sur lequel sera édifiée l'Algérie de demain. » Ces deux assertions n'ont été incluses que pour être écartées dans les dispositions du texte. Que l'on juge :
Chapitre 2 : mesures destinées à consolider la paix Sans aucun bilan, le texte décrète l'extinction de toutes les poursuites judiciaires pour tous les terroristes qui ont bénéficié de la concorde civile. C'est la première disposition. Les dispositions 2, 3, 5 et 7 prévoient l'extinction de toutes les poursuites judiciaires pour tous les terroristes à la condition qu'ils n'aient pas été impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics. Aucun terroriste ne reconnaîtra de lui-même qu'il a participé à de telles actions sauf ceux qui n'ont pas l'intention de se rendre. Ces mesures qui instituent l'impunité déshonorent l'Etat, bafouent les droits des victimes et sèment les germes de nouveaux drames.
Chapitre 4 : mesures d'appui de la politique de prise en charge du dramatique dossier des disparus
« Il (le peuple algérien) affirme que, dans de nombreux cas, ces disparitions sont une conséquence de l'activité criminelle de terroristes sanguinaires qui se sont arrogé le droit de vie ou de mort sur toute personne. Qu'elle soit algérienne ou étrangère. » Les dispositions citées au chapitre 2 assurent « l'extinction de toutes les poursuites » à ces « terroristes sanguinaires » qui ont essaimé de charniers des régions entières. « Le peuple algérien souverain rejette toute allégation visant à faire endosser par I'Etat la responsabilité d'un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d'agents de l'Etat, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu'ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l'ensemble des forces de l'ordre qui ont accompli leur devoir, avec l'appui des citoyens et au service de la patrie ». Aucun cas de disparition avec des responsabilités établies n'a été traité par la justice puisque toutes les plaintes ont donné lieu à des non-lieux. Alors que les sources les plus optimistes donnent un nombre de plus de 6000 disparitions, œuvre des services de l'Etat, le texte croit pouvoir s'en débarrasser en menaçant les familles des victimes et les défenseurs des droits de l'homme. Car le rédacteur en chef de cette charte n'oublie pas de mentionner en préambule : « En adoptant souverainement cette charte, le peuple algérien affirme que nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est habilité à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, . . . nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servi, ou ternir l'image de I'Algérie sur le plan international. » Cette mesure autoritaire vise particulièrement à refermer le dossier des disparus, enlevés par des corps constitués de l'Etat, et à pénaliser toute action pour la recherche de la vérité.
Alerte
Notre vœu pour rétablir la paix n'a d'égal que notre douleur. Notre conviction est qu'une paix viable passe par la garantie d'un débat libre pour que la vérité éclate. Le pardon ne peut être que l'aboutissement de ce processus. Le référendum plébiscite, dont le résultat est connu d'avance, s'oppose au droit des victimes. Interdites de parole, les victimes de la tragédie nationale affirment qu'aucun vote, fut-il régulier, ne peut leur être opposé pour renoncer à défendre la mémoire des leurs, et c'est devant tant d'injustice que nous alertons l'opinion publique nationale et internationale sur les conséquences de ce déni.
ANFD, SOMOUD, SOS Disparus, CFDA, ONVTAD


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