Photo : S. Zoheïr Par Abdelkrim Ghezali Si la société algérienne a connu une dislocation sans précédent, c'est essentiellement en raison des comportements irresponsables d'une partie de l'élite nationale. Au-delà de la démission de l'intelligentsia, de sa marginalisation et de son atomisation, des responsables politiques, économiques et administratifs, à différents niveau, ont failli à leur mission, soit par leur incompétence, soit par leurs comportements immoraux dans la gestion des affaires publiques. A partir du début des années quatre-vingt et avec les changements structurels et stratégiques engagés par le nouveau pouvoir qui a opté pour une forme d'infitah timide, dans un contexte financier difficile, le népotisme a commencé à prendre des dimensions alarmantes, poussant les citoyens à exprimer de plus en plus leur colère publiquement. Les émeutes ayant marqué le début des années quatre-vingt ont connu leur apogée avec les dramatiques événements d'octobre 1988. La première grande fracture a été enregistrée lorsque les forces de l'ANP ont tiré sur des Algériens et c'est à partir de là que la confiance mutuelle entre gouvernants et gouvernés s'est fissurée avant que le fossé ne s'élargisse par des manipulations de toute sorte, notamment celles des intégristes embusqués et attendant le moment propice d'une rupture irréversible qu'octobre 1988 leur a offert. L'ouverture démocratique s'est opérée de façon irréfléchie dans la mesure où elle n'a jamais été pensée comme une nécessité politique et historique mais comme un moyen de pérenniser un système obsolète. Rappelons que les mutations politiques des années quatre-vingt-dix ont eu lieu avec leur lot de déchirement social, alors que les services de sécurité ont été complètement déstructurés et n'avaient pas eu le temps de s'adapter au nouvelles donnes et d'en assimiler les portées. Ainsi, la déferlante islamiste a réussi à submerger la société et s'y imposer comme une direction politique de fait, canalisant ses forces et ses colères dans le sens voulu par ses leaders, de connivence avec des puissances étrangères et intégrés à des objectifs géopolitiques inavoués et insoupçonnés. La fragilité de la démocratie naissante a montré ses limites lorsque les intérêts des uns et des autres se sont affrontés et lorsque les pseudo-stratèges du système moribond avaient compris que la société était atomisée, faisant d'une minorité une majorité électorale menaçant de prendre le pouvoir. L'intermède de Boudiaf a suscité des espoirs immenses mais le désenchantement a vite pris le pas sur l'élan et la mobilisation des Algériens pour un projet de renouveau national. Les éléments de la stratégie du chaos ont vite été mis en place pour que l'anarchie s'installe à tous les niveaux, ouvrant la voie à une violence inouïe, à la corruption, au détournement à grande échelle, à la dilapidation du domaine foncier agricole, industriel et urbain. Cette stratégie diabolique allait se développer pour prendre des formes officielles et publiques à travers la création d'entreprises privées qui serviront de couverture à des malversations dignes d'un système mafieux. Pendant cette période où les horizons étaient assombris par la violence terroriste et la violence antiterroriste, des opportunistes sans scrupules ont presque privatisé l'Etat, ses institutions, ses finances et son patrimoine. Pour y remettre de l'ordre et nettoyer les écuries d'Augias la volonté du président de la République ne suffit pas si toutes les institutions concernées, tous les organismes de lutte contre le mal fait à l'Algérie et tous les citoyens ne s'impliquent pas avec force pour faire appliquer l'arsenal juridique existant et pour dénoncer tous les parasites qui ont investi tous les rouages politiques, économiques et administratifs.