Photo : Riad Par Karima Mokrani Les atteintes aux droits des citoyens sont monnaie courante en Algérie. Longues files d'attente devant les guichets de la poste, de la banque, du service de l'état civil de la mairie… pour avoir son argent ou son document, portes fermées aux personnes qui réclament un droit ou dénoncent un passe-droit… hantage, humiliation et blocages de toutes sortes pour faire taire les voix rebelles. Et, bien sûr, la violence sous toutes ses formes pour éliminer son adversaire. Tout se banalise, se normalise. Des ordures jetées des balcons des étages supérieurs pour s'amasser dans la petite cour du voisin du rez-de-chaussée à l'exploitation des jeunes et des moins jeunes par des entreprises publiques et privées, aux propositions indécentes faites à des femmes qui aspirent à une promotion sociale et professionnelle… jusqu'aux scandales en série qui éclaboussent les grandes entreprises du pays. L'Algérien ignore-t-il ses droits pour laisser faire ainsi la malhonnêteté, la médiocrité, l'arrogance et le mépris ? Pas du tout. Bien au contraire. Les problèmes sont tellement nombreux qu'il est constamment à la recherche de solutions qui passent toutes par un minimum de connaissance de ses droits et de ses devoirs. L'Algérien connaît ses droits pour la simple raison qu'ils sont dans la nature même de l'être humain. Des droits fondamentaux pour tous les habitants de la terre : avoir une nourriture suffisante, un logement décent, travailler dans de bonnes conditions… liberté d'expression et de mouvement, accès à l'information… Pas besoin d'aller dans de grandes écoles ou de fréquenter des hommes de loi pour en prendre connaissance. L'Algérien fait toutefois semblant d'ignorer le mal en face de lui. «Tu t'en fous», entend-on souvent dire des hommes et des femmes à leurs amis ou leurs proches qui se plaignent de la perte des valeurs sociales, de la détérioration du climat de travail, des déchirements entre les frères et les sœurs. Crier à haute voix sa colère ne veut pas dire trouver la solution au problème. D'autant que ceux qui sont censés rétablir l'ordre et imposer le respect sont souvent les premiers à faire fi des lois. Le mal est profond, ses origines multiples et son traitement complexe. La raison fait donc prévaloir la sagesse. L'Algérie est passée par les années noires du terrorisme dont les conséquences sur l'équilibre affectif, psychique et moral de toute une génération n'en finissent pas d'attirer l'attention sur un dysfonctionnement réel de la société. A cela s'ajoutent les troubles engendrés par la perte d'êtres chers lors des inondations de Bab El Oued (Alger) en 2001, du séisme d'Alger et de Boumerdès en 2003, d'autres catastrophes naturelles çà et là (avec moins de victimes et de dégâts matériels), les accidents de la circulation qui sont eux-mêmes la manifestation d'un certain désordre psychique… ainsi que les problèmes de logement, de chômage, de baisse continue du pouvoir d'achat… Tout cela menace l'équilibre social. Même lorsque les Algériens sont sortis dans la rue pour exprimer leur grande satisfaction des victoires de l'équipe nationale de football, sinon leur soutien aux joueurs après leur défaite au Caire lors du premier match de qualification pour le Mondial 2010 et celle de Benguela (Angola) pour la CAN 2010, il y avait là des signes de problèmes intérieurs enfouis durant des années. «La société algérienne est une société violente», se plaignent des citoyens. «Ce sont les signes de troubles d'identité», commente un psychologue, sollicité par des personnes n'ayant pas supporté l'ambiance «exagérée» née d'une compétition sportive». La société algérienne est «dysfonctionnelle» jugent d'autres. Le mal est profond Ce n'est donc pas un problème de connaissance ou de non-connaissance de ses droits, encore moins de «passivité» pour ne pas dire carrément «soumission» à la loi de l'autre mais tout simplement une manière de gérer une situation qu'on espère passagère. C'est une façon de maintenir un certain équilibre -par crainte de voir les choses empirer- en attendant des jours meilleurs. Mais pour que la situation change, il faut que le mal soit traité à la source. Et il ne s'agit pas seulement de répondre à des problèmes d'ordre économique, politique ou social mais il faut aussi aborder le côté psychologique de la question. Le rôle des psychologues est primordial pour aider à reprendre la situation en main. Cela ne doit pas concerner uniquement les personnes qui manifestent des signes apparents (violence, colère, rébellion, abattement…). Encore que ces dernières ne sont pas prises en charge correctement pour cause de manque de personnel qualifié et de structures adéquates. Et pas eulement puisque le mot psychologue en fait sursauter plus d'un. «Je ne suis pas fou pour me rendre chez un psychologue», s'entêtent les uns et les autres. En fait, des personnes qui paraissent tout à fait normales peuvent être un danger pour toute la société. Un psychologue parle d'«immaturité affective». Un concept qui semble être nouveau mais qui a plein de sens. Les multiples problèmes auxquels ont été et sont encore confrontés les Algériens depuis l'indépendance du pays en 1962 renseignent sur la profondeur de la plaie. Les psychologues, les vrais, doivent avoir leur place aux côtés des politiciens, des économistes, des sociologues… et autres qui prétendent apporter les solutions appropriées aux problèmes de la société algérienne.