De notre correspondant à Constantine A. Lemili Relayant la famille de l'un des cadres du CMT Oued Hamimime emprisonnés depuis quelques semaines, des amis, voisins et anciens collègues de A. R., dit Sabi, ont mis en circulation une requête dans laquelle ils lui demandent, voire le conjurent de mettre fin à la grève de la faim qu'il a entamée depuis près de quinze jours. Comparativement au statut social et professionnel du reste des cadres actuellement privés de liberté et gardés au niveau du centre de détention de la ville du Khroub et auquel la vox populi n'accorde pratiquement pas d'intérêt, voire donne blanc-seing à l'accusation, celui de A. R., ancien syndicaliste, monopolise plus de discussions et de palabres, prises de positions solidaires revendiquées en ce sens que d'aucuns n'hésitent plus à dire qu'il «est sans doute en train de payer sa droiture et surtout son dévouement à l'entreprise à laquelle il a consacré l'essentiel de son existence». Ces propos ont été étayés par la Tribune qui dispose de deux mises en garde datées du 2 février 2003 (n°25/102) adressées par A. R. à la hiérarchie et dans lesquelles il demandait instamment de «prémunir notre service contre tout malentendu avec la clientèle et, par conséquent, corroborer sa crédibilité et pour nous permettre de constituer un fichier clients de procéder à la codification des documents administratifs [TCO et fiche suiveuse de client]» à laquelle il n'a vraisemblablement pas obtenu de réponse. Les explications à ce mutisme vont suivre. Une autre requête était adressée le 2 novembre 2003 (n°43/102) : «Nous vous demandons de mettre à notre disposition une disquette comportant vos stocks morts et vos surstocks proposés à la vente et ce, pour nous permettre d'entreprendre des démarches auprès des sociétés en vue de leur écoulement, comme cela était le cas pour les stocks du CPO. Nous vous demandons également d'indiquer le coût d'achat ou un prix de référence pour la pièce mentionnée sur nos bons de transferts, autour duquel il nous sera aisé de mener les négociations de vente.» «Coût d'achat ou prix de référence et mener les négociations de vente» ayant été soigneusement soulignés par l'auteur de la lettre. C'est dire donc l'importance du service de déstockage que dirigeait A. R. et surtout les appétits qu'il pouvait susciter chez certaines personnes malintentionnées parmi lesquelles il ne pouvait être classé en ce sens qu'il n'avait aucune influence et lien directe avec la cession des pièces qui se trouvaient dans ledit service. Toutes les démarches et procédures de vente étant réalisées par d'autres structures qui recevaient les bons de commande, les factures et ordonnaient l'enlèvement des produits. Toutefois, il se trouvera une réponse de la hiérarchie administrative à la deuxième requête formulée par A. R. En voici la teneur : «Suite à votre demande… il serait judicieux de signaler que la pièce de rechange proposée à la vente existe depuis plus de 10 ans. Par conséquent, le prix figurant sur le listing [disquettes] est pratiquement le prix d'acquisition.» Autrement dit un parfait bradage qu'Equipag (la holding) ne pouvait pas ignorer. Selon ses proches «Sabi [A. R.] aurait pu faire des affaires et s'enrichir sachant qu'il avait des instructions pour vendre des pièces à un prix parfois mille fois moins cher que le prix coûtant (exemple des roulements). Or, lui, il n'arrêtait pas de dénoncer à ses responsables directs cette pratique certes officiellement établie mais interlope dans ses conséquences et plus particulièrement le manque à gagner de l'entreprise dans ces ventes». Il semblerait alors que nul parmi ses collègues n'ignorait qu'il était en fait «menacé de résiliation de la relation de travail depuis qu'il a été réintégré dans le cadre d'un contrat à durée déterminée après son départ à la retraite». Devant l'incurie des responsables qui exigeaient de lui de «liquider immédiatement toute pièce faisant l'objet d'un bon de transfert sous peine de mettre fin à mon contrat au cas où la commission internationale qui effectue des visites inopinées aux magasins et ateliers trouve encore stockées des pièces théoriquement transférées au service déstockage». A. R. sera d'ailleurs mis à la porte par K. D. (DG actuellement en détention et chargée d'un chapelet interminable d'accusations) au motif qu'il avait «refusé de céder au prix du rebut des pièces dont j'estimais le coût trop bas par rapport à leur état réel. Le DG de l'entreprise considérant que mes attributions se limitaient au fait de débarrasser l'entreprise de ce qui lui est inutile et non pas de m'immiscer dans celles (prérogatives) du service des ventes». Les syndicalistes parviendront à obtenir sa réintégration. La réintégration d'un «ancien» qui a tout donné à CMT et qui trouvait préjudiciable que le complexe en arrive à «la vente des pièces rebutées qui ne fait que ternir l'image de marque de nos produits et bien entendu pénaliser la ventes des pièces en bon état, le client préférant acheter une pièce rebutée utilisable pour une durée minimale de deux saisons que d'acheter une nouvelle au prix jugé trop élevé». L'absence de «clarté et des procédures de travail du service déstockage mais également mon incompétence au poste puisqu'il exige des connaissances techniques m'ont contraint à formuler trois demandes de mutations, toutes restées sans suite». La détention d'une quinzaine de cadres dans ce qui semble relever de la gestion d'une véritable carambouille au niveau du CMT, une prestigieuse entreprise publique, fleuron de l'industrie local et orgueil national, peut se résumer dans certains propos consignées par A. R. dans l'une des confidences faites à la presse dont il a, de tout temps, été l'informateur privilégié jusqu'à obtenir le titre de «gorge profonde du CMT», ainsi : «L'entreprise ne juge pas utile d'exiger des registres du commerce aux clients dans toute opération de vente ou de sous-traitance. Il en est de même pour la commission des ouvertures des plis. Des clients qui ne disposent même pas de registre du commerce ont signé [avec une facilité déconcertante] des contrats. La même commission a sélectionné un travailleur contractuel [chauffeur] pour la cession d'un stock de bois de récupération.» Concluons enfin que A. R. est régulièrement visité par un infirmier qui l'aide à assumer sa grève de la faim par une sustentation médicale.