De notre correspondant à Constantine A. Lemili Pour la restructuration de l'entreprise Moteurs-Tracteurs (CMT) Constantine, héraut de l'industrie algérienne et fleuron de la SGP Equipag, «la décision prise par le gouvernement est indiscutable et répond surtout à la logique, une réalité qui avait tardé à venir quoique ce retard ait quand même ses explications», estime confidentiellement un membre du conseil d'administration de l'entreprise qui demeure, toutefois, très réservé sur l'avenir des deux sociétés issues de la séparation de l'entreprise mère en unité «moteurs» et «tracteurs» distinctes. Il ne leur voit pas, d'ailleurs, de perspectives autres que l'échec claironné si le secteur n'est pas révolutionné. En la matière, il ne s'agira pas d'une révolution de velours dans la mesure où l'heure est à l'urgence, les challenges ardus et les défis difficiles à relever dans un monde économique où il n'y a pas de place pour la poésie. «Autrement dit, en ce qui nous concerne, nous Algériens, aux méthodes de gestion paternalistes, aux prévisions au petit bonheur la chance et autres décisions prises à la hussarde, la crise de management que vit le secteur, voire ses réputés capitaines d'industrie, ne sera pas surmontée miraculeusement», précisera notre interlocuteur.L'idée majeure de son raisonnement est que la première difficulté que vont rencontrer les promoteurs de la mesure évoquée serait l'inefficience du facteur humain, sinon son absence simplement. «Tout ce qui comptait parmi la fine fleur de la scène est, ou bien à la retraite, ou fait les beaux jours d'entreprises étrangères, si ce n'est sur le sol algérien, à travers le monde. Souvent, l'amalgame est autant vérifiable, notamment après les mesures très sociales de retraiter les jeunes seniors [50 ans] et, en fait, de les mettre à la disponibilité d'autres acteurs économiques privés ou pour leur propre compte. La sinécure pour des cadres qui ont été formés par l'Algérie pour l'Algérie dans des institutions prestigieuses à l'étranger.» Effectivement, la cohorte d'ingénieurs formés dans les grandes écoles soulignées bénéficie, aujourd'hui, d'une retraite paisible pour certains et c'est, qu'on le veuille ou non, la déperdition d'un réservoir intellectuel et scientifique dans une tranche d'âge où «il carbure à pleins gaz. Des entreprises privées nationales ou étrangères exploitent ces potentialités pour une autre partie. Tout cela pour des raisons surréalistes : sous-utilisation de leurs compétences, ce qui a pour résultat de frustrer les cadres concernés jusqu'à les contraindre au départ, incompatibilité d'humeur due à l'incompétence des responsables hiérarchiques, navigation à vue sur le plan des programmes et prévisions de production, une attitude non partagée par les primo-acteurs que sont ces mêmes cadres techniques [chercheurs, ingénieurs, etc.]», précisera notre interlocuteur. Il semblerait, néanmoins, que la séparation des deux ensembles de production moteurs et tracteurs est la condition sine qua non pour la relance du secteur pour la simple raison que «nulle part dans le monde, une telle conception organique n'a été enregistrée. Dans les pays développés, la fabrication de véhicules n'est jamais concentrée. Il ne peut y avoir d'acteur unique au sens du monopole de fabrication. Une structure donnée conceptualise et réalise le produit concerné, une autre le moteur, la structure qui doit tourner autour de l'habitacle et bien d'autres différents accessoires, qu'il s'agisse de la jante au tableau de bord en passant par le bouchon de réservoir du carburant», sera-t-il souligné par le membre du conseil d'administration de CMT. Qu'en est-il, en fait, des mesures prises pour la matérialisation de l'opération ? CMT, c'est de notoriété publique, est plongé dans les difficultés, aussi bien de production en raison du non-écoulement de son produit que d'une trésorerie (situation financière) vacillante. «La volonté de l'Etat est telle et si sincère que les pouvoirs publics ont assaini entièrement la situation financière des deux nouvelles sociétés. Mieux, elles ont été gracieusement aidées par un concours financier à hauteur de 4 milliards de dinars pour le complexe ‘' moteur'‘ et 1 milliard pour le complexe ‘'tracteur'‘. Un soutien qui peut être énorme ou peu conséquent. C'est selon la perception de la situation par tout un chacun. Et, là, nous revenons aux compétences humaines. L'Etat a, dans ce cas de figure, fait ce que sous d'autres cieux n'importe quel autre n'aurait pas fait, c'est-à-dire mettre de l'argent public dans une entreprise de droit privé compte tenu de la nature même du marché. Autrement dit, CMT ou ses deux nouvelles excroissances auraient pu ne bénéficier de rien du tout et l'Etat est en droit d'exiger de son management de trouver des solutions pour son sauvetage. Ce qui n'a pas été le cas», expliquera notre interlocuteur, lequel en détaillant encore plus son argumentaire ajoutera : «Nous sommes obligés, donc, de revenir à la question des compétences ou, plus grave encore, à une maîtrise de management et plus simplement à l'existence d'un zeste de culture de gestion qui aiderait à appréhender autrement le challenge. 5 milliards de dinars, c'est beaucoup et peu. C'est peu si les dirigeants concernés par la question continuent à gérer l'entreprise comme du temps de la gestion socialiste, c'est-à-dire, plus trivialement, à payer des salaires pour des gens qui ne donnent rien en contrepartie. C'est beaucoup ou, du moins, suffisant pour un management pragmatique qui saura trouver d'autres segments de financement et heureusement, il en existe et, là encore, il faudrait souligner l'omniprésence de l'Etat qui veille en bon protecteur des entreprises réputées stratégiques et les accompagne dans la moindre de leurs actions pour peu qu'a posteriori son désengagement devienne une réalité. Alors la question qui se pose est la suivante : le facteur humain en place est-il qualifié ? Personnellement, nous avons la réponse mais nous jugeons plus honnête de laisser l'avenir trancher.» En tout état de cause, nous avons retenu que la décision de créer deux entreprises indépendantes l'une de l'autre à partir de CMT a de très fortes chances «d'aller droit dans le mur». Il ne s'agit point d'un a priori, d'un jugement de valeur arbitraire mais cette décision semble, en fait, ne répéter que d'autres actions similaires faites par le passé et non seulement n'ayant pas donné de résultats à long terme mais surtout s'étant soldées par des échecs retentissants. Notre informateur conclut, enfin, par cette sentence : «Est-il suffisant de scinder une entreprise en deux pour dépasser ses travers ? Franchement, non ! Et cela quelles que soient les bonnes intentions qui sont derrière, comme cette idée de spécialiser une unité de fabrication de moteur et une autre pour le reste. Faudrait-il encore que ledit produit soit performant, sachant que les procédés de fabrication sont aujourd'hui obsolètes et ne répondent pas du tout aux exigences des clients, qu'ils soient nationaux ou étrangers, si tant est que l'exportation soit envisageable, quoique satisfaire le marché national reste déjà un très important challenge parce qu'il offre d'excellents débouchés à la production. L'essor de l'agriculture algérienne et l'intérêt que lui accordent les pouvoirs publics ces dernières années constituent un potentiel extraordinaire et devraient permettre aux deux entreprises de démarrer eu égard à l'existence d'un plan de charges mais également de garder la vitesse de croisière pendant au moins une décennie en se mettant au diapason selon les réalités du terrain.» CMT, dans un lassant cycle de turbulences, est, toutefois, le parfait exemple depuis près de vingt-cinq ans de l'incohérence, de la navigation à vue, de la gestion cahoteuse. Toutes les tentatives de l'Etat de réveiller le géant du secteur de la métallurgie n'ayant jamais connu l'effet de retour attendu.