Photo : A. Lemili Par A. Lemili Le directeur général du complexe moteurs-tracteurs d'Oued-Hamimime n'exclue pas l'éventualité d'une suspension pour une durée indéterminée de l'activité de l'entreprise, une suspension qui serait elle-même dictée par un arrêt de la production depuis juillet 2007. En tout état de cause, ce sont les propos tenus au cours d'une rencontre qu'il nous a accordée la semaine écoulée. «L'avenir retiendra qu'avec l'ensemble de l'encadrement, nous avons déployé une formidable dépense physique et intellectuelle pour relancer l'activité. Nous avons rédigé autant de rapports sur la situation qu'il le fallait, nous avons frappé à toutes les portes, assisté à toutes les réunions où il nous a été sollicité de défendre le dossier de CMT. Beaucoup d'engagements ont été pris par nos interlocuteurs, des mesures ont été annoncées à l'échelle du gouvernement mais elles sont toutes restées une vue de l'esprit.» Il y a lieu de rappeler qu'en 2004, afin de leur permettre d'acquérir à des conditions avantageuses des équipements relevant du machinisme agricole, un dispositif de soutien aux agriculteurs a été mis en place par les pouvoirs publics. En fait, l'un des avantages, entre autres, était une réduction appréciable de la valeur de la machine dont la différence était amortie par un concours du Trésor public. Cette remise était accompagnée d'un crédit-bail (leasing) de 5 ans pour le tracteur et de 10 ans pour la moissonneuse-batteuse. Une mesure qui a formidablement boosté les ventes et permis d'écouler, en 2004 et en 2005, près de 3 000 tracteurs par an «sur des besoins énormes estimés par milliers selon les conclusions d'experts dans le domaine, à partir d'études rigoureuses dont l'argument était le non-renouvellement du parc depuis la réalisation de CMT (environ 100 000 tracteurs tombés pratiquement en obsolescence)», précisera M. K Djemaa, le DG du complexe, en soulignant dans la foulée que «le calcul le plus simpliste vous donnera rien qu'en termes de renouvellement un besoin d'égale hauteur». Mais, à un besoin réel et effectif matériellement établi par notre interlocuteur, l'Algérie vivrait un avatar inattendu dont l'explication serait «la distance prise par les agriculteurs par rapport au recours à la machine. Sachez que, par le passé, notre pays figurait parmi ceux du Bassin méditerranéen dont l'agriculture était l'une des plus mécanisées. Or, aujourd'hui, l'Algérie ne l'est plus en raison du non-renouvellement du parc mais également du fait qu'il ne se trouve pas de besoins exprimés qui pourraient aussi s'expliquer par le morcellement des terres agricoles entre des milliers d'attributaires dont les coûts de production ne seraient jamais amortis. Une réalité qui est à l'origine du système de leasing et de la création d'une société prestataire [Salem, ndlr] en ce sens que les charges sont partagées entre les deux parties [société et agriculteurs]», toujours selon le premier responsable du complexe moteurs-tracteurs. Y a-t-il eu échec dans ce dispositif ? «Malheureusement oui, peut-être en raison de l'une des conditions d'accès à cette facilitation qui mettait en obligation le postulant de disposer juridiquement d'une terre agricole», estime M. K Djemaa. Entre-temps, tenant compte de prévisions d'un besoin de 2 à 3 000 tracteurs/an formulées par le ministre de l'Agriculture, en avril 2006, CMT est entré dans une cadence effrénée de production pour répondre présent au défi parce que l'entreprise était directement concernée sachant que le système de leasing ne concerne que le produit national. Mais, pour des raisons de financement du système précédemment évoqué que l'Etat soutenait en partie, la mécanique administrative, passez-nous l'expression, s'en est trouvée grippée remettant en cause le système. Pouvoirs publics, ministère de l'Agriculture, le MPPI informés de la situation, le chef du gouvernement convoque un Conseil interministériel, en août 2006, lequel par un train de mesures ponctuelles rectifie la trajectoire et prend les décisions suivantes : révision du taux d'intérêt que prenait la Salem sur la location-cession de l'équipement, réduction des tarifs d'assurance jugés prohibitifs de la CNMA et, enfin, la plus importante concession faite, en l'occurrence l'obligation d'une possession en titre d'une terre agricole. Des mesures gouvernementales allègrement ignorées Un train de mesures officielles qui, aux yeux du premier responsable de CMT, «mettait en devoir l'ensemble du personnel de CMT de faire preuve d'imagination, de multiplier les efforts et de se mettre au diapason sachant que tout ce que le gouvernement a entrepris ne pouvait qu'apporter des dividendes conséquents à l'entreprise et assurait la pérennité de l'outil de travail». Mais «re-couac», ledit dispositif, pour des raisons bureaucratiques, n'allait pas à son tour fonctionner alors que CMT, confiant en ces mesures, emballait la machine, ses unités produisant à forte cadence, histoire de ne pas être prises de court, de manquer de relever le défi et, plus particulièrement, de remettre en cause une décision politique du gouvernement prise en ce sens d'autant plus que ses responsables n'ont eu de cesse d'alerter les pouvoirs publics sur la déperdition d'un fleuron de l'industrie. Sur le terrain, ce dysfonctionnement se matérialisera par le stock d'une production de plus de 300 milliards de centimes, l'équivalent de 2 000 tracteurs difficiles, sinon impossibles à écouler, d'autant plus que le système de leasing évacuait, de fait, les payements cash. Un véritable paradoxe dans la mesure où même les éventuels acquéreurs en capacité de s'acquitter sur place du coût d'une machine préféraient profiter des facilités accordées par l'Etat. Encore une fois, un autre Conseil interministériel se réunira au sujet de ce dossier, en avril 2007, élargi à la SGP Equipag, CMT, CMA, Salem, CNMA, etc. Le chef du gouvernement constatera que les mesures prises une année auparavant n'ont pas été suivies d'effet et que l'un des acteurs concernés par le dispositif, la Salem, était frappé d'anachronisme en ce sens qu'elle n'avait pas la capacité de financer une telle opération au motif que son capital social n'y répondait pas. D'où la décision de recapitaliser la société de leasing (sic). Une opération qui devait se faire en une journée et qui ne l'a pas été, depuis avril 2007, pour la simple raison que les principaux actionnaires (CNEP, BADR, CPA, CNMA) de la Salem traînent le pas. C'est, par voie de conséquence, au vu de tous ces dysfonctionnements que la direction de CMT avait pris la décision, en juillet de l'année dernière, de suspendre sa production. Tout d'abord, parce que produire suppose qu'on dispose d'inputs, fasse des achats, et procède à des recrutements de personnel qualifié. «Pour réaliser un tracteur qui coûte 1 million de dinars, il faut 600 000 DA d'inputs et environ 200 000 DA de charges sociales et, très franchement, nous ne connaissons pas de gestionnaire normalement constitué qui produirait pour le seul plaisir de stocker. Or, nous avons aujourd'hui 2 000 engins parqués depuis deux années et lesquels, comble d'ironie, vont devoir être revus et à nouveau contrôlés, avec une peinture à reprendre et pour certains être révisés le jour où une opportunité d'écoulement se présentera. Autrement dit, d'autres charges en perspective qui rogneront sur la marge de bénéfice attendue, voire une vente à perte si cette situation persiste», considérée comme «dramatique» par notre interlocuteur. Il faut tout aussi préciser qu'en juillet dernier, si le complexe moteurs-tracteurs a suspendu sa production, il n'en a pas moins seulement décalé les approvisionnements et la fabrication pour 2008 (ce qui a effectivement eu lieu à partir de janvier mais sans que, s'agissant des tracteurs, soit réalisé leur montage final) dans l'optique d'une impromptue concrétisation des mesures gouvernementales énoncées auparavant et d'une mise en branle du dispositif mis en place.