Dans une société telle que la nôtre où les jeunes sont souvent laissés pour compte, ces derniers, en quête d'une vie meilleure, n'hésitent pas parfois à prendre le large clandestinement et cela au risque de leur vie. Un phénomène nommé «harga», une appellation due au fait que ces jeunes téméraires brûlent leurs papiers d'identité avant de tenter un périple marin dangereux. Ce thème épineux a été celui du dernier long métrage signé Merzak Allouache projeté en avant-première jeudi dernier à la salle Sierra Maestra (ex-cinéma Holywood). Rachid, Nasser et Imene, une belle jeune fille cultivée, sont trois jeunes Mostaganémois en mal de vivre. Désespérés de voir leur quotidien se conjuguer au conditionnel, ces trois jeunes, qui n'avaient nullement en tête d'entreprendre ce genre d'aventure, remuent ciel et terre, n'ayant qu'une seule idée en tête… quitter le pays. Omar, un de leurs amis et frère d'Imene, se suicide, après avoir tant de fois tenté de forcer le destin avec la harga. Imene est abattue, car, en plus du suicide de son frère, voilà que son copain Nasser envisage de partir également. Déterminée à prendre en main sa propre destinée, elle lance un ultimatum à Nasser, partir avec lui ou mourir. Ce dernier finit par accepter et la prend avec lui sur une embarcation de fortune. Le couple est accompagné de Rachid et de Hakim, «le frérot», ainsi que d'autres jeunes candidats à l'émigration clandestine approchés par Hassan «mal de mer», un vieux marin affairiste sans scrupules qui loue ses services aux harraga. Le jour J arrive, les jeunes sont rassemblés sur la plage en attendant l'arrivée de leur embarcation. Ils seront dix à vouloir faire cette traversée hasardeuse afin d'arriver sur l'autre rive. Coup de théâtre. Un jeune qui traînait dans les parages abat Hassan «mal de mer» d'une balle dans la tête, et prend le groupe en charge. Coléreux et imprévisible, le revolver à la main, le passeur est en fait un policier qui a commis une grave erreur pouvant lui coûter la prison. Il traite les harraga comme des moins que rien. Dans l'impossibilité de faire machine arrière, ces derniers n'ont plus que le choix d'aller jusqu'au bout. La petite barque arrive enfin sur la plage et ils embarquent. L'aventure commence. Une ambiance d'hypocrisie et de haine règne dans la barque. Imene est collée à Nasser. Quant à Rachid (qui est aussi le narrateur dans le film), il s'occupe du GPS. A leurs côtés, Hakim avec son MP3 aux oreilles et six jeunes venus du Sud algérien. Le passeur mène le groupe à la baguette, ce qui engendre parfois des crises et des disputes. La révolte couve et, quand elle explose, Hakim et le passeur en seront les premières victimes. Ils tombent à l'eau et se noient. Désormais, les harraga sont livrés à eux-mêmes et aux flots. Les huit survivants tentent tant bien que mal d'atteindre la côte espagnole. Hélas, à la tombée de la nuit, le moteur tombe en panne. La tension monte de plusieurs crans. Il n'est plus question de vie mais de survie. C'est le chacun pour soi et Dieu pour tous. Rachid, qui en est à sa deuxième tentative de harga, décide de tenter sa chance à la nage et plonge dans les flots. Nasser et Imene le suivent. Les autres, ne sachant pas nager, ne peuvent que confier leur destin à Dieu. Le destin se manifeste par un bateau espagnol qui les repêchera. Ils finiront probablement entre les mains des autorités. Les trois amis arrivent à s'en sortir et atteignent la côte. Mais ils ne tarderont pas à se faire arrêter par les autorités espagnoles qui les expulseront. Une véritable fin autant pour le film que pour le rêve de ses jeunes héros, qui est loin d'être un happy end. Filmé en partie dans la wilaya de Mostaganem, Harragas relate parfaitement le désespoir des jeunes. Pour ce faire, Merzak Allouache a laissé les jeunes parler librement pour exprimer leurs drames, leurs colères et leurs rêves dans leur propre langage. Le cinéaste soulignera qu'on compte aussi de nombreux jeunes intellectuels parmi les candidats à l'émigration clandestine. Concernant le scénario, le réalisateur a opté pour un dialogue vivant et réaliste, avec une liberté d'expression poignante. Toutefois, le film qui aborde un sujet sensible, voire dramatique, a manqué d'émotion. A noter, que Harragas a donné l'occasion au jeune comédien Nabil Asli qui incarne le personnage de Rachid, premier rôle dans le film, de se surpasser. Il a réussi admirablement son passage des planches du théâtre au plateau de tournage.Mais on peut retenir que Harragas marque le retour de Merzak Allouache qui donne l'impression de s'être réconcilié avec son ancien genre, ce genre réaliste représenté par Omar Gatlatou. W. S. Quelques mots du réalisateur Interrogé sur son œuvre, Merzak Allouache avoue s'être imprégné de plein d'anecdotes relatées par de jeunes Mostaganémois. «J'ai entendu plusieurs histoires de harraga, plus dramatiques que celle du film, il y avait de quoi faire une série de dix films. Les difficultés financières m'ont quand même empêché de créer une tempête. La barque que les jeunes ont utilisée dans le film contient d'habitude 25 personnes alors qu'ils n'étaient que dix, cela n'est qu'un aperçu du drame», dira-t-il. Concernant le scénario, il dira avoir laissé une grande liberté aux comédiens. «Je me suis concentré sur un langage vivant, propre aux jeunes», déclara-t-il en ajoutant : «Je ne suis pas là pour donner des messages mais pour relater un fait qui touche la jeunesse. Je suis revenu en Algérie pour cela, pour faire des films qui parlent de la réalité et cela en compagnie d'une nouvelle génération de comédiens très prometteuse», conclura-t-il. W. S. L'APC de Sidi M'hamed s'investit dans la culture Inaugurée l'an dernier, la salle Sierra Maestra connue sous l'appellation de cinéma Hollywood a été fermée pendant des années. Après un lifting général, elle ouvre ses portes aujourd'hui pour accueillir de plus en plus de manifestations culturelles, annonce le président de l'APC de Sidi M'hamed, Mokhtar Bourouina, présent lors de l'avant-première du film Harragas. Ce responsable a annoncé également la création de l'EPIC Arts de Sidi M'hamed, un établissement indépendant qui aspire à redonner un nouveau souffle au secteur culturel dans la commune. M. Bourouina fera par ailleurs preuve d'un esprit responsable en s'excusant des quelques couacs qui ont émaillé l'organisation. «Nous n'en sommes qu'à nos débuts et nous avons tout à apprendre de vous», dira-t-il en s'adressant aux artistes et aux journalistes présents dans la salle. W. S.