De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali Une journée d'étude sur «les harraga» a été organisée, hier au musée El Moudjahid d'Oran, par l'ordre des avocats comme une «contribution à l'effort visant à juguler, puisqu'on ne peut l'arrêter, le phénomène de l'émigration clandestine qui a pris des dimensions extraordinaires ces dernières années», a expliqué le bâtonnier, Lahouari Ouahrani dans son mot d'ouverture. Devant un parterre composé, outre les avocats, de magistrats, de cadres de la police nationale, de sociologues…, le bâtonnier a souligné que ce phénomène qui touche toutes les catégories sociales ne doit pas être appréhendé par la répression : «La justice ne doit pas être une machine à distribuer les condamnations, elle doit savoir séparer le bon grain et l'ivraie.» Soit, en l'occurrence, faire la différence entre le passeur qui fait commerce du désespoir de ses congénères et le harrag dont les motivations sont souvent liées au chômage, à l'absence de perspective ou à la recherche d'une vie meilleure : «Il n'y pas si longtemps, le président de la République a incité à la multiplication des efforts en vue de créer trois millions d'emplois en cinq ans pour les jeunes, a-t-il encore rappelé. Voilà comment il faut entretenir l'espoir et éviter la sinistrose !» Durant toute la journée d'hier, les différents spécialistes sont intervenus pour parler de ce phénomène dans ses dimensions sociale, politique et psychologique… : «Après avoir longtemps traité ce phénomène par le silence et suspecté la main étrangère, l'Etat préconise aujourd'hui la sensibilisation et la promesse de [création de microentreprises], relève Nabila Moussaoui, enseignante et chercheuse. Il a également recours aujourd'hui à la religion puisque la harga a désormais été déclarée péché puisque assimilée à un suicide.» Dans leurs prêches de vendredi dernier, certains imams ont, en effet, affirmé que l'émigration clandestine est interdite par l'islam et appelé les jeunes Algériens à ne pas recourir à la harga, ce moyen suicidaire, pour résoudre leurs problèmes, quelles qu'en soient la nature et l'ampleur. Tout en rappelant que ce phénomène n'est pas l'apanage de notre pays, l'enseignante a dénoncé l'accès difficile aux services sociaux, l'angoisse de l'avenir incertain, le sentiment d'être humilié et le fantasme de l'étranger comme les principales motivations qui poussent les jeunes à tenter l'improbable aventure. Dans une intervention aux accents politiques, le Dr Taybi Assyr a tenté, lui, d'établir le profil de ces jeunes Algériens en quête d'une vie meilleure : Ce seraient, selon lui, des individus «psychologiquement fragiles» qui «fuient leur identité» en «fantasmant sur l'étranger». Ne prononçant jamais le mot «hogra», que les candidats à l'émigration avancent comme leur principale motivation, l'intervenant impute également le phénomène au chômage, aggravé par la sous-qualification des demandeurs -alors que tout le monde sait que des licenciés et détenteurs de magisters ou de doctorats souffrent de l'absence de perspectives dans le domaine de l'emploi - à l'exode rural, à la crise économique et à la déscolarisation. Le tout en s'aidant de diapositives montrant, on ne sait pourquoi, le visage du président de la République, des groupes de jeunes brandissant le drapeau national… Dans l'après-midi, divers autres intervenants ont apporté leurs points de vue sur le phénomène de la harga, son origine, ses causes, ses répercussions sur la société et l'économie nationale, et proposé des ébauches de solution : «Il reste que ce n'est pas par la prison que l'on arrivera à y mettre un frein», a réaffirmé un autre avocat présent à cette journée d'étude. Comme s'est très justement demandé Yasmina Khadra : «Comment peut-on sévir contre une jeunesse effroyablement désenchantée alors qu'il est question de la sauver de l'ennui en train de la chosifier ? Comment ose-t-on jeter en prison de jeunes gens qui ont choisi de risquer leur vie au large de la mer plutôt que de moisir au pied des murs défigurés ou à l'ombre de cafés sinistrés ? […] Depuis quand les geôles sont-elles des cures thérapeutiques, un antidote, une panacée ? […] Incarcérer les harraga est un non-sens, une absurdité, un traitement contre-nature […]» Pour rappel, en 2008, plus de 1 533 émigrants clandestins ont été interceptés soit en pleine mer ou alors qu'ils s'apprêtaient à partir, contre plus de 1 568 en 2007…