Un sens ravageur de l'ironie, une grande place à la cruauté, des zestes d'humour parfois savamment dosés et souvent exagérément utilisés. Harragas, dans un mélange de genres improbables, est une fiction digeste et sans profondeur. La dislocation, qui n'a rien à voir avec disloquer, est définie comme étant “un sentiment de non-appartenance, de détérioration, d'incapacité de se sentir chez soi. Une angoisse diffuse, difficilement cernable dans un pays qu'on habite pourtant depuis longtemps. Une sorte d'aliénation généralisée”. Considérée jusque-là comme un sentiment typiquement américain, la dislocation est, par extension, une explication aux motivations des brûleurs de mer, des harragas qui, à bord d'embarcations de fortune, poursuivent un rêve hypothétique, parfois insaisissable. Ils sont, en effet, des milliers de jeunes qui optent pour la traversée clandestine, se croyant en total conflit avec leur société qui les méprise, les ignore et les oublie. Ces jeunes, en pleine dislocation, construisent dans leurs têtes une image fausse de l'Europe. Cette dernière devient un idéal. Ils tentent le tout pour le tout afin de donner enfin un sens à leur vie et rallumer la flamme de la vie. C'est le cas des trois héros du long métrage Harragas, le dernier né de Merzak Allouache, projeté avant-hier soir à la salle Sierra Maestra à Alger. Harragas est l'histoire du sympathique Rachid, du beau gosse Nasser et de la douce et jolie (et même intelligente !) Imène qui, las d'une vie indigne et monotone, décident de tenter leur chance de l'autre côté de la Méditerranée. Imène, qui ne laisse rien derrière elle, mis à part une vie hypocrite, tente l'expérience de la harga pour la première fois, ce qui n'est pas le cas de Rachid et Nasser, qui connaissent bien les risques et les conséquences de leur acte. Les premiers plans de Harragas installent dans l'époque (2008) et le lieu (Mostaganem, Algérie). Des séquences, quasiment sans dialogues, installent dans la réalité des trois anti-héros. L'adhésion à la cause des jeunes harragas s'accomplit certes, mais on en sait tellement peu sur eux qu'une barrière (très solide) sépare le spectateur des protagonistes. La seconde partie du film se déroule à bord de la barque, supposée les emmener loin de l'enfer… vers le paradis de l'Espagne, l'Eldorado. Le chemin de Rachid, Nasser et Imène croise celui de cinq autres candidats pour la harga venus du Sud algérien, et celui de Mustapha, un flic névrosé qui menace tout ce beau petit monde avec un revolver. La traversée, dangereuse et éprouvante, se transforme souvent en une farce. Outre les récréations, trop nombreuses, chargées d'humour et d'ironie, le scénario est un peu faiblard, puisque sans profondeur et sans la moindre originalité. Rachid, le personnage principal, nous rappelle Omar Gatlato. Tout comme lui, il raconte ses aventures et nous présente ses amis, son entourage, son quartier, sa ville. Mais le scénario en est juste la pâle copie. Le traitement des faits et du phénomène de la harga reste léger. La réalisation a plus ou moins réussi à combler le vide du script avec des plans de la mer — véritable héroïne — magnifiques qui complètent largement le propos du film. Merzak Allouache filme ses comédiens au plus près des visages et des corps, ce qui véhicule une image oppressante de la réalité. Le réalisateur est sans concessions dans sa vision : la scène de Rachid en costard fraîchement sorti de son emballage, portant une chaîne autour du coup avec un pendentif en forme de crucifix est une belle manière de rendre compte de la dislocation des jeunes, de leur aliénation et de la négation d'une identité… flottante. L'azur, couleur de la mer, du ciel et synonyme de blessure, de meurtrissure, a réuni toutes ses significations. En outre, les comédiens ont été éblouissants. Lamia Boussekine (Imène), seule représentante de la gent féminine dans le film, s'est illustrée au milieu de tous les mâles, même si elle a été en mal de créativité. Seddik Benyagoub (Nasser) a lui aussi été surprenant et n'a pas démérité. Mais la révélation c'est Nabil Asli (Rachid) qui a mêlé spontanéité, ingéniosité et sincérité. Ce jeune comédien, très prometteur et pétri de talent, a laissé loin derrière lui ses camarades. Samir El Hakim (Mustapha) a été singulier, car bien que son personnage incarne le mal, il a réussi à le rendre sympathique, évitant ainsi la fadeur et l'insipidité au film. Harragas est digeste, mais son sens ravageur de l'humour a annihilé sa profondeur. Fiche technique Harragas, partir à tout prix Réalisation : Merzak Allouache Scénario : Merzak Allouache Distribution : Nabil Asli, Seddik Benyagoub, Lamia Boussekine, Samir El Hakim, Okacha Touita, Ahmed Benaïssa, Mohamed Takerrat Directeur de la photographie : Philippe Guilbert Producteurs : Véronique Roffé et Yacine Djadi Distributeur en Algérie : Cirta Films. Distributeur en France : Jour2fête Date de sortie : 24 février 2010 en France