La guerre d'indépendance, les atrocités et les injustices subies par les Algériens n'ont pas laissé de marbre tous les Français. Des hommes et des femmes épris de liberté et de justice se sont élevés pour dire non à la loi du silence imposée par la France coloniale. Ils n'ont jamais cédé aux intimidations et encore mois aux menaces. Parmi ces Justes, on ne peut oublier Nicole Dreyfus. Décédée le 11 février dernier à l'âge de 86 ans, cette jeune avocate menue était redoutée des juges et des procureurs qui avaient pourtant les mains trop libres à l'époque. C'est dans cette Algérie en plein feu de la guerre de libération nationale de cette année 1956 que la jeune avocate débarque en Algérie. Agée alors de 33 ans, Nicole Dreyfus commença une série de va-et-vient, plusieurs fois l'an, entre Paris et Alger. Son objectif : défendre les militants du FLN et ceux du Parti communiste algérien poursuivis par les autorités coloniales. Ce «pont aérien» des avocats, mis en place avec d'autres collègues à elle, avait d'abord pour ambition d'éviter le pire, soit la condamnation à mort ou son exécution. Une réelle course contre la montre a été engagée par ces hommes de loi. Dossiers travaillés parfois seulement en quelques heures, multiples menaces de mort, intimidations, ils n'ont reculé devant rien. Ils ont continué à défendre leur clients jusqu'au bout. Mme Dreyfus s'est particulièrement distinguée par son engagement exceptionnel pour la cause algérienne. En pleine «bataille d'Alger», alors que les parachutistes du tortionnaire Massu pratiquaient la «torture de masse», pour emprunter l'expression d'Henri Alleg, faisant disparaître des centaines de milliers de personnes, Nicole Dreyfus venait à Alger pour assurer la défense de plusieurs jeunes filles, dont Baya Hocine, Djoher Akrour, Malika Ighil Ahriz, Safia Baaziz et autres membres de l'Armée de libération nationale (ALN), à peine sorties de l'adolescence et déjà accusées de terrorisme. Elle a surtout défendu des femmes comme Zohra Drif-Bitat, une des figures de proue de la «bataille d'Alger» et la communiste Jacqueline Guerroudj, toutes deux condamnées à mort en premier appel. Menacée de mort par l'extrême droite, Nicole Dreyfus n'a jamais cédé à la peur. Elle puisait la force de son engagement dans sa propre histoire familiale. L'avocate a confié que «les affaires venaient, avec souvent, à la clé, des condamnations à mort. Il fallait étudier le dossier en quelques heures et le lendemain plaider à fond. Je considère que c'était un combat juste, je suis contente de l'avoir mené». De son combat, Nicole Dreyfus n'a voulu retenir jusqu'à sa mort que le courage des femmes pour lesquelles elle a plaidé et l'atrocité de ce que beaucoup d'entre elles subirent sous la torture. «L'État français doit reconnaître que ce qui s'est passé en Algérie est inadmissible», expliquait encore Nicole Dreyfus, qui n'a cessé, depuis, son combat contre le colonialisme et contre toutes les formes d'injustice et de ségrégation. L'avocate a plaidé essentiellement à Alger, mais aussi à Oran, à Annaba, à Constantine et à Ouargla. Elle ne se constituera pas seulement pour les prisonniers d'Algérie. Le massacre du 17 octobre a également marqué le parcours de cette dame de fer. «La manifestation du 17 octobre 1961 et sa répression abominable est une affaire qui m'a particulièrement tenu à cœur, parce que je l'ai suivie devant les juridictions françaises et même devant la Cour européenne des droits de l'Homme». Après l'indépendance, elle poursuivra son engagement avec le même dévouement. Sur l'initiative de la fondation du 8 Mai 1945, des rescapés et des ayants droit de victimes de la sanglante répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris ont déposé une plainte contre X devant la justice française pour crime contre l'humanité en février 1998. Saisie par les plaignants le 15 mars 1999, la chambre d'accusation a rendu son arrêt le 3 mai, dans lequel elle confirme que les faits incriminés sont amnistiés parce qu'ils entrent dans le cadre de la loi d'amnistie couvrant les infractions en relation directe ou indirecte avec la guerre d'Algérie. Les avocats de la partie civile ont saisi la cour de cassation. La plainte des familles avait été rédigée, signée et déposée par maîtres Bentoumi, Nicole Dreyfus et Marcel Manville. Les plaignants sont allés jusque devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Fidèle à ses principes, Nicole Dreyfus s'engage de nouveau en 2000, signant avec onze autres personnalités françaises, à savoir Henri Alleg, Germaine Tillion, Josette Audin, Simone de Bollardière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Noël Favrelière, Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant et Laurent Schwartz, l'appel lancé le 31 octobre 2000 à la veille de la commémoration du 46e anniversaire du déclenchement de la révolution algérienne. Un appel demandant au président Jacques Chirac et à son Premier ministre Lionel Jospin de condamner la torture pendant la guerre d'Algérie. Cet appel, dira-t-elle dans les colonnes du journal l'Humanité, «a eu l'immense mérite de réveiller dans notre peuple ce qui était refoulé. Il a remis à l'ordre du jour des faits anciens, qui dormaient dans la conscience commune, en éveillant des réactions très salutaires. Il a constitué un véritable point d'ancrage pour l'indispensable travail de mémoire». Elle dira encore : «Le devoir de mémoire est un devoir essentiel. La torture pratiquée en Algérie n'intéresse pas que l'Algérie. C'est un problème universel contre lequel nous devons nous élever et lutter.» G. H.