Une vieille marâtre, reconnue coupable de crimes, ne doit-elle jamais confesser ses délits pour apaiser sa conscience ? Bien sûr, il n'est pas question de la juger ou de la condamner pour des considérations strictement humaines, mais il s'agit, ici, d'un simple petit mot d'excuse à l'endroit de tous ceux qu'elle a injustement dépossédés durant plus d'un siècle. La clémence et même l'acquittement de la cour lui étant acquis d'avance. Un rejeton digne aurait incité sa génitrice à faire amende honorable en avouant ses forfaits et en exprimant ses regrets à l'endroit de ceux qui ont eu à souffrir durant longtemps de son implacable tyrannie. L'aveu tant souhaité ne servirait au bout du compte qu'à soulager un tout petit peu les douleurs indélébiles des victimes, prêtes à passer l'éponge sur tant de violences endurées. C'en est même l'exigence morale pour un minimum de dignité. La France qui a brutalement occupé l'Algérie durant 132 ans représente dans ce cas de figure la vieille dame qui se refuse à toute remise en cause de sa «mission civilisatrice en Afrique du Nord».L'establishment français, privilégiant ouvertement l'affect sur la raison, reprend toujours à son compte la célèbre diatribe d'Albert Camus : «Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice», déclarait en 1957 le récipiendaire du prix Nobel de littérature. A ce jour, Paris fait semblant de croire encore à sa bonne cause et s'entête à se disculper par lui même au moment où l'histoire avait déjà maintes fois tranché sur son sort. Le président Nicolas Sarkozy, lui qui n'a vécu ni de près ni de loin la guerre d'Algérie, ne rate aucune occasion d'exprimer sa conviction selon laquelle les colons dans leur écrasante majorité «étaient de bonne foi. Ils étaient venus, tranche-t-il, pour travailler et pour construire, sans l'intention d'asservir ni d'exploiter personne». Il ajoute un peu plus loin que «de part et d'autre, il y a eu des douleurs, des souffrances et des peines» comme pour mettre le bourreau et sa victime dans le même box. En revanche, il existe dans l'opinion française un vaste courant, un courant majoritaire, qui croit encore à la patrie des droits de l'Homme et celle des libertés. La France des grands esprits comme Jean-Paul Sartre et tant d'autres intellectuels qui ne retiennent de l'amour filial que ce qui est profitable à la mémoire et à l'honneur de leurs ascendants. Avec le début de la révolution algérienne, en 1955 exactement, dans l'un des premiers numéros de la célèbre revue les Temps modernes, Sartre titrait en une «L'Algérie n'est pas la France». Une phrase qui a le mérite d'être vraie et claire à la fois. Mais il faut beaucoup de courage, d'amour et loyauté pour l'exprimer dans un tel moment. Très scrupuleux sur l'éthique intellectuelle, le philosophe affrontera, ensuite, vents et marées pour établir un témoignage sans concessions sur la question. «Le colonialisme refuse les droits de l'Homme à des hommes qu'il a soumis par la violence, qu'il maintient de force dans la misère et 'ignorance, donc, comme dirait Marx, en état de “sous-humanité”. Dans les faits eux-mêmes, dans les institutions, dans la nature des échanges et de la production, le racisme est inscrit», note-t-il en 1957. L'engagement anticolonialiste de l'homme qui a eu le culot de décliner, bien plus tard en 1964, le Nobel des belles lettres le mène à signer des pétitions, à participer à des marches, à soutenir le mouvement des insoumis et à se mettre au service de la résistance pour bannir l'occupation sous toutes ses formes. Malgré l'ampleur du préjudice commis, l'homme voit assez loin pour croire à la possibilité d'une réconciliation franco-algérienne à travers une reconnaissance des torts causés.«Vous savez bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l'or et les métaux, puis le pétrole des “continents neufs”, et que nous les avons ramenés dans les vieilles métropoles. [...] Un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l'exploitation coloniale», écrit-il en 1962. En clair, il s'agit simplement de rompre l'omerta. Alors, qui est le digne fils de sa mère dans toute cette histoire ? Dans leur for intérieur, tous les Français, d'hier et d'aujourd'hui, savent pertinemment que Sartre avait raison. Comme Galilée en son temps, il était constamment en avance sur la France officielle. K. A.