L'Histoire du monde est remplie des noms de ces hommes et femmes qui, forts de leurs convictions, ont cette ambition (prétention ?) de se rendre utiles là où le «devoir» les appelle. Même au-delà des frontières de leur pays d'origine ou de naissance. Ce fait, ils le mettent plutôt sur le dos des accidents de la nature. C'est dans cette catégorie qu'est classé le militant internationaliste, italien et juif de naissance, égyptien de nationalité et français par sa langue et son «adoption». Mais il est aussi algérien, chilien ou encore sud-africain par son combat pour des causes justes. Il s'appelle Henri Curiel.Né, presque par hasard, en Egypte, le 13 septembre 1943, Henri Curiel est issu d'une famille juive originaire d'Italie. Mais des circonstances historiques et géographiques ont fait que le futur militant communiste ne parle pas l'italien, mais le français. La langue provient de la proximité de son grand-père avec des familles françaises, arrivées au même titre que lui dans le delta du Nil après la campagne napoléonienne d'Egypte. Cet «avantage», si c'en est un, permettra plus tard à Curiel de se trouver une patrie d'adoption, la France. Mais, avant cela, l'homme, choqué par la misère des ouvriers égyptiens qui travaillent dans les fermes de sa famille, s'investit dans les mouvements de gauche, même s'il était conscient que construire une opposition politique en Egypte était beaucoup plus une chimère. Même son apprentissage de l'arabe -pas du tout réussi d'ailleurs- ne lui a rien donné de plus.Seulement, agacé par le mouvement de Curiel -qui voulait fédérer les militants de gauche comme lui- le roi Farouk expulsa le militant vers l'Italie en 1950. Toujours à la recherche d'un champ d'action plus libre, Henri Curiel, qui s'est bien armé intellectuellement en lisant des centaines d'ouvrages, parvient à partir en France. Vite, il intègre le Parti ommuniste français qui, à cette époque-là, avait le vent en poupe. Mais les temps ont fini par avoir raison de sa militance : en 1952 et en contradiction avec les positions officielles du PCF, «l'Egyptien» soutient le coup d'Etat des colonels contre le roi Farouk. Ce n'était probablement pas une position de conviction, mais c'était probablement le cœur qui avait parlé. Sauf que la flamme qui dort au fond de l'homme finira par se réveiller des années plus tard, malgré une mise en quarantaine particulièrement éprouvante en France. Et c'est la révolution algérienne qui donne une nouvelle dimension à Henri Curiel : le journaliste Robert Barrat, un autre militant de la cause algérienne, lui parle et ne tarde pas à lui présenter le réseau français de soutien au FLN, le réseau de Francis Janson. Il s'y investit à fond et met à la disposition des responsables du FLN en France toute l'étendue de son savoir-faire en matière du ilitantisme. C'est à cause de cet activisme qu'il se fait arrêter, en 1961, avant que les autorités françaises ne décident de l'expulser. Il restera cependant en France, grâce à ses solides connaissances. «Il voulut élargir le réseau et le pérenniser au-delà de la guerre d'Algérie en créant le Mouvement anticolonialiste français (MAF). Ce fut un rude échec. Son pragmatisme heurte les illusions lyriques de maints porteurs de valises qui croient que, par une réaction en chaîne, la “révolution algérienne” peut embraser l'Europe (plus tard, ce seront Cuba, la Chine, le Vietnam...)», écrit à son sujet le journaliste Gilles Perrault dans le Monde diplomatique.Henri Curiel poursuivra cette lutte en formant des militants pour d'autres causes. Il servira d'intermédiaire, également, dans les années 1970 à des contacts entre pacifistes israéliens et palestiniens, même si beaucoup de médias l'accusaient de proximité avec le «terrorisme international», incarné à cette époque par les Brigades rouges en Italie ou la Bande à Baader en Allemagne. Le 4 mai 1978, deux inconnus l'abattent de plusieurs balles dans le hall de l'immeuble où il habitait à Paris. Le dossier de son assassinat étant classé, ses bourreaux ne seront jamais connus. Malgré cela, Henri Curiel restera dans l'histoire comme ayant fait partie de cette race d'humains qui ont voulu faire du bien même dans des combats qui ne les concernaient pas directement. A. B.