Photo : S. Zoheïr Par Ghada Hamrouche La femme algérienne reste otage des tabous, coutumes et, par-dessus tout, d'une législation qui fait d'elle une citoyenne de seconde zone ou plutôt un être humain mineur jusqu'à la fin de sa vie. Rien n'a changé dans cet état des lieux depuis la promulgation du code de la famille de 1984 et les quelques révisions introduites en 2005. Plus que jamais le combat des femmes doit se concentrer sur un seul objectif : la suppression pure et simple de ce texte. Et qu'on ne se cache plus derrière l'argument fallacieux de la religion. En quoi les femmes d'aujourd'hui sont-elles plus musulmanes que celles qui se sont mariées avant l'existence du texte de 1984 ? En quoi l'islam a-t-il été lésé lorsque nos aînées se mariaient sous le régime du code civil ? Ceux qui croient que les femmes sont protégées et libérées par ce code infâme font fausse route. L'Algérienne par la force des choses -colonialisme oblige- a hérité des droits de la Française à l'éducation et de son droit au vote. Le socialisme, choisi juste après l'indépendance, lui a permis d'accéder au salaire égal à celui de son collègue homme. L'Algérienne aurait pu, certainement, accéder à d'autres acquis, si l'APN de 1984 ne l'avait pas freinée net et ne lui avait pas imposé l'infâme code de la famille qui l'a réduite au rang de citoyenne de second degré. Jusqu'à cette date sinistre, le code civil était la seule loi régissant l'état civil. Depuis, surgissent des problèmes sans fin. Femmes répudiées, femmes jetées à la rue. Privées de leurs enfants, de leur logement, des milliers de femmes algériennes ont fait l'amère connaissance de ce code scélérat. Toutes ces injustices sans fin ne portent qu'un seul nom : le code de la famille. 21 ans après sa promulgation, et sous la pression des organisations féminines et des ONG internationales, les pouvoirs publics décident de revisiter leur code. Les femmes reprennent espoir. Elles attendent une évolution dans le texte sur lequel planchent les juristes. L'espoir atteint son paroxysme lorsque le chef de l'Etat s'engage publiquement à lever l'injustice et fait de ces amendements l'un de ses chevaux de bataille. Quelle fut grande, alors, la déception lorsque le texte amendé par ordonnance, pour contourner la levée de boucliers des conservateurs et des islamistes à l'Assemblée populaire nationale, est rendu public. Si certains prétendent aujourd'hui que ces amendements ont libéré les femmes et leur ont permis de prétendre à un semblant de justice dans le traitement des affaires de divorce, il n'en est rien en réalité. En quoi a été libérée cette femme, juge, médecin, chercheur, enseignante, journaliste ou ingénieur, qui doit se battre chaque jour pour s'imposer dans un monde misogyne et pour arracher le respect de ses collègues et subalternes misandres ? En quoi est émancipée cette femme magistrate qui décide de la destinée de ses concitoyens et se trouve inapte légalement à disposer de la sienne ? Les incohérences et le burlesque de la condition féminine, en Algérie, sont innombrables. En 2005, la montagne accouche une nouvelle fois d'une souris. Mis à part quelques réaménagements dans la forme, le fond du texte reste intact. Le chef de l'Etat a manqué d'audace pour révolutionner la situation. L'Algérie, selon son appréciation, n'était pas encore prête pour cette révolution. Le texte révisé a consacré, à son tour, les inégalités entre les deux pans de la société. Les calculs politiques ont primé sur tout. Des dispositions introduites dans ce code révisé, on ne peut noter qu'un seul point positif. Les femmes répudiées peuvent désormais prétendre à une célérité dans le versement de leurs indemnités. Pour le reste, rien n'a bougé. La très timide réforme du code de la famille a rencontré une résistance farouche qui l'a littéralement vidé de son sens et a fait reculer le pouvoir. Le chef de l'Etat devait faire un choix : ouvrir la porte de la réforme sur ses deux battants ou la fermer définitivement, mais pas les deux ensemble et en même temps. Les amendements adoptés sont très en-deçà des espérances, insuffisants et dégagent une impression de légèreté et de futilité. Ainsi, l'autorisation de la première épouse devant le juge est requise dans le but de contrôler l'exercice de la polygamie, qui n'est, faut-il le rappeler, ni un droit ni une obligation, mais seulement une autorisation. La polygamie et la répudiation sont, selon le code de la famille, le privilège de l'homme. L'égalité devant la loi en matière de mariage, de divorce, de partage équitable du patrimoine commun en cas de divorce, le droit de la femme au logement quand elle a la garde des enfants, la substitution de l'autorité paternelle restent un rêve pieux. Dans un pays où battre sa femme ou sa sœur ne constitue pas un délit mais une preuve de virilité et de caractère, un lien de sujétion et de subordination, la violence généralisée que vivent une grande proportion de femmes à l'intérieur du foyer est inimaginable. L'Algérienne n'a pas besoin, aujourd'hui, d'une évolution dans les textes mais d'une révolution qui imposerait une équité totale. Le domptage des esprits rétrogrades suivra certainement. La force de la loi fera plier les plus récalcitrants. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on pourra parler de progrès et d'émancipation et espérer parvenir, peut-être, un jour à une équité. Tout ce qui se fera en attendant n'est que littérature et ne dépassera guère les limites du folklore.