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«80% des cas de piqûres de scorpion surviennent à l'intérieur des domiciles» Dr Hassina Hellal, chargée du programme de lutte contre l'envenimation scorpionique :
Photo : Sahel Entretien réalisé par Karima Mokrani LA TRIBUNE : Chaque année, l'Algérie enregistre des cas de piqûres de scorpion dans plusieurs wilayas du pays. Certaines sont mortelles. L'envenimation scorpionique devient ainsi un problème de santé publique. Pouvez-vous nous en donner quelques chiffres ? Dr Hassina Hellal : Il s'agit, en effet, d'un véritable problème de santé publique, avec une moyenne de 50 000 piqûres et près d'une centaine de décès par an. Durant l'année 2007, nous avons enregistré 51 181 piqûres et 80 décès. Si l'on compare avec les années 80, nous relèverons une nette baisse des cas de piqûres et de décès, puisque nous en étions à plus de 150 cas de décès par année. Aujourd'hui, nous en sommes à 80, en 2007, 62, en 2006, 74, en 2005. Le nombre demeure relativement stable, ces dernières années. Et s'il y a une légère augmentation entre une année et une autre, nous ne devrons pas penser forcément à une hausse du phénomène. Il faut savoir que, ces dernières années, notre dispositif de lutte contre l'envenimation scorpionique cible de plus en plus de wilayas, et que les cas sont déclarés obligatoirement. Ce qui n'était pas le cas, il y a encore quelques années. C'est cette notification obligatoire des cas de piqûres, dans nos différents centres de prise en charge, qui a fait que le nombre a augmenté. Cela ne veut pas dire, toutefois, que le phénomène est en baisse ou que notre population est à l'abri. Car, si nous nous référons encore aux chiffres, nous constaterons que rien que pour les premiers mois de l'année en cours, c'est-à-dire jusqu'à la mi-juillet, nous avons enregistré 3 858 cas de piqûre et 16 décès. 5 décès ont été enregistrés durant le mois de juillet, 1 en juin, 5 en mai (626 piqûres), 3 en avril (1 142 piqûres), 2 en mars (1 506 piqûres). En janvier, nous avons enregistré 187 piqûres, en février 397 piqûres. Nous ne sommes pourtant qu'au début de l'été. Cela veut dire que le phénomène n'est pas propre à cette saison. C'est peut-être parce que le dispositif mis en place ne marche pas bien... Bien au contraire, le dispositif de lutte contre l'envenimation scorpionique, mis en place par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, en collaboration avec d'autres secteurs (notamment les collectivités locales et la Protection civile), est bien huilé. Nous déployons un maximum de moyens humains et matériels pour prendre en charge ce problème. Nous avons demandé à nos médecins de ne pas prendre, tous, leur congé en été. C'était un peu difficile de les convaincre au début. Avec la nouvelle carte sanitaire, nous avons désigné un ensemble de polycliniques -que nous avons bien équipées- pour recevoir les personnes piquées et bien les prendre en charge. Elles sont automatiquement orienté vers l'une de ces polycliniques, par nos médecins, dès qu'elles arrivent dans un service de santé. Leur évacuation doit se faire rapidement. En combien de temps ? Ça ne doit pas dépasser les trois heures entre le moment de la piqûre et l'arrivée de la personne piquée au service de santé. La circulation du venin est très rapide et peut être fatale pour elle. Tout dépend de la quantité du venin injecté et aussi des parties du corps qui sont touchées directement. Nous avons constaté, dans nos différentes visites des wilayas concernées, que des personnes ont été plusieurs fois piquées par le scorpion, mais elles sont toujours en vie. Elles affirment qu'elles sont immunisées. Ce qui est totalement faux. On ne peut pas être immunisé contre l'envenimation scorpionique. Le hasard a fait que les scorpions n'avaient pas de venin dans leur poche. D'autres, en revanche, ont été piquées une seule fois et elles sont décédées quelques heures seulement après. Quand il s'agit donc d'une faible quantité de venin, il y a de fortes chances que la personne soit tirée d'affaire, en peu de temps. Il suffit juste de lui injecter un sérum anti-venin. Quand la quantité du venin est intense, il y a très peu de chances que le sérum et la prise en charge médicale parviennent à sauver la victime. Les enfants et les personnes âgées ont aussi très peu de chances d'être sauvées une fois piqués. Même lorsque la quantité du venin est faible. La cause en est que l'organisme de l'enfant ne peut pas se défendre, alors que, pour les personnes âgées, l'envenimation du scorpion est associée à d'autres pathologies qui affaiblissent davantage leur corps (hypertension, diabète…). Là aussi, l'organisme ne peut pas se défendre. En fait, qu'est-ce qui favorise ces piqûres ? C'est l'homme lui-même qui va à la rencontre du scorpion ou lui donne les moyens de l'atteindre. Le facteur premier en est l'absence d'hygiène. Les ordures ménagères attirent le scorpion. Les gravats aussi. Les murs non cimentés. L'humidité. L'obscurité. Et, contrairement aux années précédentes où nous enregistrions des taux de 70 à 80% de piqûres de scorpion à l'extérieur des domiciles, les dernières statistiques indiquent un retournement de la situation : 70 à 80% des cas de piqûre sont enregistrés à l'intérieur même des maisons. Cela veut dire que les saletés se trouvent à l'intérieur même des domiciles. Les enfants en paient le lourd tribut (des citoyens laissent leurs enfants marcher pieds nus sur le sable. D'autres mettent leurs bébés à ras de terre, etc.). Le risque augmente en été, parce que les gens éteignent généralement la lumière pour avoir moins chaud, cherchent l'obscurité et la fraîcheur, au risque de s'asseoir au milieu des gravats… et laissent leurs portes ouvertes ou entrouvertes, ne pensant même pas à placer une serpillière. Quelles sont les régions les plus concernées par ce phénomène ? Les sept wilayas, qui constituent encore ce que nous appelons «la zone rouge», sont Ouargla, Djelfa, El Bayadh, Biskra, Naama, El Oued et M'sila. Cela ne veut pas dire que les autres ne sont pas concernées. Ce sont pratiquement toutes les wilayas du pays qui enregistrent, hiver comme été, des cas de piqûre de scorpion. Sachons toutefois que, si ces piqûres ne sont pas toujours mortelles, c'est parce que le type de scorpion qui prédomine en Algérie est le buthus occitanus. Il est moins dangereux que l'androctonus, qui est fatal pour la personne piquée. Que faut-il donc faire pour éviter ces accidents ? Le scorpion est un animal qui existe depuis des milliers d'années, ce n'est pas nous qui allons le déloger. Il faut, toutefois, éviter de le rencontrer. L'hygiène du milieu est très importante. Il faut nettoyer à l'intérieur comme à l'extérieur de sa maison. Il ne faut pas laisser les ordures ménagères s'amonceler dans nos cités. Il faut éliminer les gravats, cimenter les murs, goudronner les routes, mettre une serpillière devant sa porte, vérifier ses chaussures, ses habits, sa literie, etc. Des gestes tellement simples qui peuvent épargner des pertes en vie humaine. La vigilance doit être de mise. Il faut aussi multiplier les campagnes de ramassage de ces scorpions et les brûler. Des expériences de ce genre ont eu lieu dans des wilayas du sud du pays, grâce à la mobilisation des associations locales, et cela a donné de très bons résultats. La wilaya de Biskra enregistrait, à elle seule, une moyenne de plus de 50 décès par an. Elle en est aujourd'hui à 10, 12. C'est dire l'effort déployé dans ce sens. Malheureusement pour nous, les associations ne travaillent plus comme avant. Les prédateurs, qui sont les chats et les poules, ont aussi un rôle très efficace dans la lutte contre le scorpion. Là où il y a des chats ou des poules, le risque d'envenimation scorpionique est très faible. Les collectivités locales doivent encourager la présence de ces prédateurs dans toutes les zones à risque. Et que conseillez-vous aux personnes piquées ? Nous leur demandons de ne pas paniquer, ne pas courir dans tous les sens… cela accélère la circulation du venin. Eviter le recours aux moyens dits traditionnels. Et surtout ne pas utiliser le garrot. Le garrot n'est pas du tout recommandé. La victime doit se rendre rapidement au centre de santé le plus proche. Nous avons demandé à ce qu'il y ait des ambulances médicalisées pour le transport des personnes piquées résidant notamment loin des centres de santé.